De nombreux chauffeurs de camions se mobilisent actuellement contre l'obligation d'être vacciné afin de franchir la frontière vers le Canada. Pour Ariel Thibault, avocat, ce mouvement est porteur d'une vision dépassant la seule cause des routiers.
La liberté ne se négocie pas, encore moins celle de choisir de se faire vacciner ou non. C’est ce principe qui semble motiver le millier de camionneurs canadiens ainsi que leurs supporteurs à manifester dans la capitale canadienne. Leur revendication première : que le gouvernement renonce à l’obligation vaccinale imposée à tous les camionneurs désirant franchir la frontière canadienne. Leur revendication ultime : la fin des mesures sanitaires.
Manifester est ici un mot simpliste pour décrire la situation, puisque plusieurs y ont érigé une roulotte, dorment dans leurs camions ou dans des chambres d’hôtel à proximité de la colline parlementaire. Il s’agit donc d’une sorte de siège pacifique, de sit-in (ou plutôt, de truck-in). Et à entendre certains, ce siège prendra fin quand le premier ministre Trudeau aura cédé sur les mesures. En effet, les gens sont équipés, ils ont des vivres, ils se ravitaillent et se coordonnent.
Reprenons ici l’enjeu du point de départ. Les camionneurs profitaient d’une exemption de vaccination depuis plusieurs mois, et ce contrairement aux voyageurs réguliers qui eux doivent montrer patte blanche niveau vaccination pour entrer au Canada. Voilà que le 15 janvier dernier, le gouvernement du Canada mettait fin à cette exemption pour les camionneurs désirant franchir la frontière.
Evidemment, nul ne peut ignorer que les camionneurs transfrontaliers sont habituellement seuls dans leur cabine de camion, des jours durant, ayant comme seuls contacts les gens dans les stations-service, les restaurants, les hôtels et les livraisons. Les contacts qu’ils ont avec des tiers ne sont pas nuls, mais tous conviendront qu’il ne s’agit pas ici d’une profession qui s’exerce dans le grand public.
Trudeau semble vouloir rendre la vaccination obligatoire partout où il le peut
Concrètement, un camionneur canadien non-vacciné doit donc désormais, à son retour au pays, faire une quarantaine de 14 jours. Inutile de dire que cela est incompatible avec le travail de camionneur. La question qui se pose donc est la suivante : sur quelle logique de santé publique le gouvernement Trudeau s’appuie-t-il pour fonder cette obligation vaccinale, sachant que ni les infirmiers, médecins, policiers, enseignants, travailleurs sociaux et autres n’ont d’obligation vaccinale imposée à leur profession ? La réponse semble ici politique et constitutionnelle. Je m’explique.
Au Canada, la constitution prévoit un partage des pouvoirs. Les pouvoirs fédéraux sont notamment l’armée, la poste, les télécommunications, la monnaie, l’assurance-emploi, le transport et les frontières. Quant aux provinces, elles ont entre autres des pouvoirs en santé, en services sociaux, en éducation et en droit civil. Le gouvernement Trudeau ne peut donc imposer la vaccination au corps enseignant, aux policiers provinciaux et municipaux ou aux membres du personnel de la santé et des services sociaux. Cette décision revient aux provinces.
Le 20 septembre dernier, Justin Trudeau, qui formait jusqu’alors un gouvernement minoritaire depuis 2 ans (il avait été élu pour un mandat de 4 ans le 21 octobre 2019), fut réélu lors d’une élection prématurée qu’il avait lui-même déclenché, en pleine pandémie. Son argument politique de réélection (et motif pour déclencher une élection en pleine pandémie) fut que le peuple canadien a le droit de décider de la destinée du pays pour le reste de la crise sanitaire.
Ainsi, réélu pour un mandat de 4 ans en septembre 2021, mais toujours minoritaire, le premier ministre Trudeau se sent malgré tout investi d’une mission de mettre fin à la pandémie selon la vision qu’il a exposé à ses électeurs : la vaccination est la seule solution.
Ce n’est donc pas une surprise si le gouvernement Trudeau est allé de l’avant depuis sa réélection avec l’obligation vaccinale dans la fonction publique fédérale le 15 novembre 2021, avec une annonce de modification à l’assurance-emploi le 30 décembre 2021 pour y exclure grandement l’admissibilité aux non-vaccinés, avec une déclaration du ministre fédéral de la santé le 7 janvier 2022 selon laquelle la vaccination obligatoire serait inévitable, puis finalement avec l’obligation vaccinale aux camionneurs transfrontaliers depuis le 15 janvier 2022.
Il s’agit plutôt d’une confrontation entre deux visions : le libre choix individuel de se faire vacciner versus l’obligation vaccinale au nom du bien commun
Bref, il est évident que le premier ministre Trudeau fait tout en son pouvoir pour obliger les non-vaccinés à se faire vacciner, et ce dans les limites des domaines de compétences fédéraux. Ici, il s’agit d’imposer une vision politique, à savoir qu’il n’y a aucun compromis à faire quand vient le temps de la vaccination. En effet, Trudeau semble vouloir rendre la vaccination obligatoire partout où il le peut, le but étant d’accentuer la pression sur les gouvernements provinciaux afin que ceux-ci fassent de même dans leurs champs de compétences respectifs, eux qui contrôlent la santé (et donc pourraient ordonner la vaccination obligatoire dans la population générale).
De cet angle, le combat des camionneurs est donc loin d’être limité à eux seuls, il s’agit plutôt d’une confrontation entre deux visions : le libre choix individuel de se faire vacciner versus l’obligation vaccinale au nom du bien commun. Et même, à bien y penser, le combat des camionneurs constitue peut-être les prémices, les premiers combats contre une politique future plus vaste de vaccination obligatoire.
Ariel Thibault, avocat et citoyen engagé
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