Le sport est et doit demeurer apolitique, ce que semble avoir oublié le patron du Comité international olympique, estime Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur à l'Université d'Etat de Moscou. Analyse.
Les déclarations récentes du CIO et des Comités olympiques européens (COE) ont largement ouvert la porte non pas à la «neutralité» dans les milieux sportifs, mais bien au plein engagement politique du mouvement olympique dans le conflit en Ukraine, foulant ainsi aux pieds les valeurs universelles apolitiques de son origine.
Ainsi, le 23 mars dernier, Thomas Bach, président du CIO, a précisé lors de sa visite en Allemagne les conditions – politiques – auxquelles les athlètes russes et biélorusses pourront être autorisés, à titre exceptionnel, à participer aux compétitions olympiques. Ces conditions s’ajoutent aux contrôles antidopage, qui depuis des années ont fait sortir la Russie, comme pays, des compétitions sportives, au titre d’une étrange responsabilité collective présumée, en violation de tous les principes juridiques de responsabilité civile.
L’épopée commence, sans surprise, en 2015, alors que l’un des effets inattendus du Maïdan provoqué en Ukraine est le retour de la Crimée en Russie et la résistance armée du Donbass. L’ancien directeur du Centre russe antidopage (2006–2015), Grigori Rodchenkov, se sauve aux Etats-Unis, où il rapporte avoir soutenu le dopage d’athlètes russes et un trafic d’échantillons échangés à travers les murs par des super agents du FSB. Révélations supposées en contrepartie desquelles il peut travailler tranquillement dans le même domaine, pour les Américains.
Cette affaire a provoqué le début du bannissement de la Russie, qui est restée sans drapeau et sans hymne depuis, même si les recours devant les juridictions sportives à Genève ont pu faire lever en 2018 certaines sanctions collectives de manière individuelle. La guerre politique contre le sport russe a débuté ici et fut médiatiquement actée par le film de l’Allemand Hajo Seppelt en 2016. Ainsi, tout a bien débuté avec la «rébellion» de la Russie contre la vague des révolutions de couleur, bien avant le début de l’opération militaire spéciale en février 2022.
Le CIO interdit une opinion politique
Thomas Bach a voulu enfoncer le clou : «Seuls les athlètes qui respectent pleinement la Charte olympique pourraient participer. En d’autres termes, premièrement, seuls ceux qui n’auront pas été à l’encontre de la mission de paix du CIO en soutenant activement la guerre en Ukraine pourraient concourir», a-t-il déclaré. Et de préciser, pour que les choses soient bien claires : «Nos principes disent clairement et distinctement que tout soutien actif à la guerre est interdit, et cela inclut le port du Z (symbole du soutien à l’invasion russe), mais aussi les posts sur les réseaux sociaux et bien d’autres choses. Quiconque soutient la guerre de cette manière ne peut pas participer aux compétitions.»
Quiconque soutient la guerre de cette manière ne peut pas participer aux compétitions.
Tout d’abord, nous apprenons que le CIO a «une mission de paix». Une sorte de casque bleu sportif, avec la même efficacité… qui jusqu’à présent était bien discrète. Ensuite, il apparaît que le refus de ne pas soutenir l’Ukraine constitue la nouvelle conception olympique de la neutralité politique. Car aucun sportif ne sera sanctionné pour soutenir l’Ukraine et les pays de l’OTAN dans ce conflit, puisque les Comités olympiques européens eux-mêmes les soutiennent.
Enfin, le caractère inacceptable du conflit est manifestement exclusif au conflit ukrainien, et précisons, au conflit ukrainien depuis le 24 février 2022 (car depuis 2014, l’histoire n’existe plus), et précisions encore, au conflit ukrainien depuis 2022 du côté de la Russie. Ainsi, les sportifs originaires des pays de l’Axe atlantiste soutenant l’armée atlantico-ukrainienne peuvent parfaitement soutenir leurs gouvernements, qui fournissent des armes, largement utilisées contre les cibles civiles, notamment dans le Donbass, mais également dans les régions frontalières comme celle de Belgorod. Les sportifs américains ne sont pas soupçonnés de soutenir les interventions militaires de leur pays dans de nombreux pays du monde, qui en général ne survivent pas à une telle «libération démocratique», simplement parce qu’ils sont Américains. Les sportifs français ne sont pas obligés de condamner leur gouvernement, par exemple, pour avoir participé aux frappes aériennes en Yougoslavie. Personne, en principe, ne doit condamner les bombardements perpétrés dans le cadre de l’OTAN sur la Yougoslavie, l’intervention militaire en Irak hors mandat de l’ONU… et la liste pourrait s’allonger.
Autrement dit, ce n’est pas le soutien à un conflit armé en soi qui dérange, c’est le soutien à un conflit qui n’entre pas dans l’intérêt de l’instauration de ce monde global atlantico-centré, qui s’élabore depuis la chute de l’URSS. Et la réaction militaire de la Russie face à l’agression de l’Ukraine depuis 2014 va directement à l’encontre des intérêts globalistes. Elle doit donc être condamnée par tous les organes de gouvernance globale. Et nous voyons que les organes olympiques en font manifestement partie.
Cette stigmatisation est une forme de ségrégation ethnique.
Cette stigmatisation, qui est une forme de ségrégation ethnique dans les plus pures traditions historiques que l’on a pu tristement connaître, ne concerne que les sportifs russes et biélorusses, car ils sont Russes ou Biélorusses. En effet, dans ces pays, l’opinion publique soutient majoritairement la réponse militaire apportée par la Russie. Simplement, parce que les gens savent ce que les habitants du Donbass ont subi depuis 2014 et connaissent bien l’agression militaire par Kiev des régions Est de l’Ukraine, où beaucoup ont de la famille.
Alors, afin de mettre en œuvre la décision du CIO, la Pologne a eu l’idée particulièrement peu originale de ressortir des tiroirs la pratique bien rôdée des contritions politiques publiques. Ainsi, il est demandé aux sportifs russes et biélorusses, a priori soupçonnés en raison de leur nationalité de soutenir l’opération militaire, de signer une déclaration écrite, qui n’insiste pas sur leur neutralité, mais qui condamne cette intervention militaire. Car dans le monde global orwellien actuel, la condamnation de la Russie est synonyme de neutralité.
Le principal est de rétablir la justice (…) avec le drapeau, l’hymne et les autres attributs de l’équipe russe pour les JO.
Cette position est celle des Comités européens olympiques, qui soutiennent ouvertement l’Ukraine, eux aussi en toute «neutralité». Je cite le communiqué officiel : « Les COE continuent de manifester leur solidarité avec l’Ukraine. Vingt-cinq athlètes ukrainiens participent actuellement au Festival olympique de la jeunesse européenne d’hiver Friuli Venezia Giulia 2023, avec le plein soutien des COE, et ils ont remporté des succès notables. Suite aux recommandations du CIO, les COE ont également maintenu les sanctions sportives contre les représentants et symboles du gouvernement russe. Sur la base des conditions de sécurité, aucun athlète de Russie ou de Biélorussie ne participe actuellement.» Et si en principe, il est possible d’envisager à terme la participation d’athlètes ayant un passeport russe ou biélorusse, dans tous les cas, «les athlètes russes et biélorusses ne participeront pas aux Jeux européens cette année».
Le Comité olympique russe dénonce une violation de la charte olympique
Dans ce contexte particulièrement conflictuel et engagé, le Comité olympique russe (COR) a dénoncé une violation de la Charte olympique et déclare travailler avec chaque fédération sportive, pour que les sportifs refusent de signer une telle déclaration politique. Comme le déclare Stanislav Pozdniakov, à la tête du COR : «Le principal est de rétablir la justice. Ce qui concerne non seulement le retour des athlètes dans les arènes internationales, mais avec le drapeau, l’hymne et les autres attributs de l’équipe russe pour les Jeux olympiques. (…) Les participants à la réunion ont exprimé une position unique sur l’inadmissibilité pour les athlètes russes de signer des déclarations de quelque nature politique que ce soit, contraires à la législation de la Fédération de Russie. Pour nous, c’est absolument inacceptable.»
La balle est à présent dans le camp des sportifs eux-mêmes. C’est le moment pour ces derniers de se souvenir qu’ils ne sont pas arrivés à ce niveau en s’entraînant tout seul sans leur garage. Ils sont devenus de grands sportifs, car l’État russe a mis en place les structures le permettant et il les a pris en charge tout au long de leur formation et de leur carrière. La liberté, c’est aussi savoir dire non, savoir sortir de sa zone de confort, car l’on comprend qu’il existe des principes et des valeurs au-delà des impératifs immédiats de l’individualisme globalisé.
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