Pour l’ancien secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger, en raison de l’arsenal dont dispose désormais Kiev et de l’inexpérience de ses dirigeants, intégrer l’Ukraine à l’OTAN serait la seule manière de parvenir à la paix en Europe.
«Pour la sécurité de l’Europe, il vaut mieux avoir l’Ukraine dans l’OTAN». Lors d’une interview de huit heures, accordée fin avril à l’hebdomadaire britannique The Economist, l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, toujours influent dans l’émergence des idées, a confirmé sa volte-face concernant une possible adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique.
Des propos qui tranchent avec ceux que l’ancien diplomate tenait fin septembre. Durant un entretien auprès du Council on Foreign Relations, un groupe de réflexion non partisan, Henry Kissinger avait estimé que «ce n’était pas une sage politique américaine de tenter d’inclure l’Ukraine dans l’OTAN». Prenant soin de préciser que «rien de tout cela n’excusait» l’opération militaire lancée en Ukraine par le Kremlin, Kissinger avait tenu à rappeler la perception russe de l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’ex-bloc soviétique.
L’ancien conseiller à la présidence américaine soulignait ainsi qu’aux yeux de Moscou, les Etats-Unis avaient tenté d’intégrer «sans exception, dans un système stratégique dirigé par les Américains» toute l’Europe centrale jusqu’aux frontières russes. Manœuvre qui avait fait disparaître la «ceinture de sécurité» historique de la Russie.
«Le pays le mieux armé, le plus moderne et avec le leadership le moins expérimenté d’Europe»
Dès janvier 2023, Henry Kissinger avait ajusté sa position. Lors d’une prise de parole devant le Forum économique de Davos, l’ancien responsable américain avait estimé qu’une «adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait une issue appropriée» une fois la paix signée. «Avant cette guerre, j’étais opposé à ce que l’Ukraine devienne membre de l’OTAN parce que je craignais que cela ne provoque exactement le processus qu’on voit maintenant», expliquait-il. Avant d’ajouter : «Mais maintenant que ce processus a atteint ce niveau, une Ukraine neutre dans ces conditions n’aurait plus de sens.»
Une évolution due notamment au fait qu’à ses yeux, «la Russie n’est plus la menace conventionnelle qu’elle était», estime-t-il auprès du quotidien britannique. Henry Kissinger n’épargne pas pour autant l’attitude des Européens, lorsqu’il en vient à la deuxième raison qui justifierait selon lui une entrée de Kiev dans l’OTAN. «Nous avons maintenant armé l’Ukraine à un point où ce sera le pays le mieux armé, le plus moderne et avec le leadership le moins expérimenté d’Europe», précise-t-il auprès de The Economist.
Kissinger veut officialiser la mise sous tutelle de l’Ukraine
«Les Européens disent que nous ne voulons pas d’eux dans l’OTAN parce qu’ils représentent un trop grand risque et donc nous allons les armer et leur donner les armes les plus avancées. Comment cela peut-il fonctionner ?», interroge l’ancien diplomate, jugeant «follement dangereuse» l’attitude adoptée par les Européens.
Rétrospectivement, cet ancien chef de la diplomatie américaine, qui s’apprête à souffler sa centième bougie, juge que «la décision de laisser ouverte l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était très mauvaise et imprudente».
Les relations entre Kiev et l’Alliance atlantique ont débuté en 1991, année de l’effondrement du bloc soviétique. Relations qui ont abouti en 2008 à une promesse de l’OTAN d’intégrer l’Ukraine, faisant fi des mises en garde de Moscou. Dès 1997, la Russie avait par la voix de son premier président Boris Eltsine clairement spécifié à Washington que l’intégration à l’Alliance de pays membres de la Communauté des États indépendants – dont faisait alors partie l’Ukraine – était une limite que l’OTAN devait se garder de franchir.
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