Chroniques

Partir ou rester ? Il n’y a aucune «bonne solution» pour la France face à l’hyperterrorisme au Sahel

Pour Sébastien Boussois, chercheur spécialiste du Moyen-Orient, l'échec de l'opération militaire française au Sahel est patent, dans la mesure où le djihadisme serait loin d'avoir été éradiqué dans la région.

Le retrait américain d’Afghanistan, après 20 années de sécurisation et de tentative d’édification d’un Etat viable, n’a hélas rien mis en lumière de nouveau. Depuis 1945, le gendarme du monde n’a plus été à même de gagner une guerre à l’extérieur, dans des contrée lointaines, pas plus que d’imposer son modèle politique. Il en est de même à-peu-près pour d’autres puissances occidentales comme la France. Sa présence au Sahel, dans la zone des trois frontières, dans le cadre de l’opération Barkhane semble vouée malheureusement à l’échec depuis le début. Le ministère de la Défense précise les objectifs initiaux de la présence française dans la région de la sorte : «La stratégie sahélienne de la France vise à ce que les Etats partenaires acquièrent la capacité, d’assurer leur sécurité de façon autonome. Elle repose sur une approche globale (politique, sécuritaire et de développement) dont le volet militaire est porté par l’opération Barkhane, conduite par les armées françaises.»

Le djihadisme au Sahel est plus présent que jamais, même s’il a été en partie contenu

Certes, mais la mort d’un nouveau soldat français hier, après celle il y a à peine trois semaines de Maxime Blaxo, qui avait largement ému l’opinion, remet sur le devant de la scène la légitimité et le sens de ces opérations sur place, alors que depuis 2013, 57 soldats ont connu la mort au Sahel. Le maréchal des Logis, Adrien Quélin, est décédé à 29 ans «par accident» nous dit-on sur la base militaire française de Tombouctou. Peut-on encore parler d’accident quand l’opération Barkhane est de plus en plus contestée dans l’Hexagone et que Paris est tiraillé entre partir et rester ? Dans les deux cas hélas, l’échec est patent car le djihadisme au Sahel est plus présent que jamais, même s’il a été en partie contenu, mais plus revigoré que jamais, poussé par des Etats en faillite ou trop faibles pour résister à leur poussée inexorable. Dans son livre Une guerre perdue, la France au Sahel (1), Marc-Antoine Pérouse de Montclos résume parfaitement les origines de l’opération : «Janvier 2013 : l’armée française intervient au Mali. C’est sa plus grosse opération militaire à l’étranger depuis la guerre d’Algérie. François Hollande avait pourtant annoncé que la France n’interviendrait pas. L’objectif au départ était seulement d’appuyer une éventuelle opération de paix des Nations Unies pour rétablir l’ordre. Mais après la prise par les djihadistes de Tombouctou, de Gao, de Kidal, il faut agit sinon dit-on, [après le départ français], Bamako pourrait tomber. Tout le “Sahélistan” serait aux mains des fous de Dieu». Livrée à elle-même, la France se retrouvait dès-lors dans son pré carré géopolitique traditionnel en Afrique pour tenter de contenir en vain l’hydre djihadiste. Et il est clair désormais que le jour où Paris fuira, comme Washington l’a fait de Kaboul, Bamako tombera comme le chapelet de villes stratégiques du coin. C’est inévitable tant la détermination islamiste s’auto-entretient justement d’une présence et résistance occidentale à l’ordre régional que ces djihadistes comptent bien imposer à terme.

20 ans de guerre en Afghanistan pour rien ? Les conséquences tragiques à venir du retrait américain


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Et leur présence est déjà une longue histoire sur zone comme leur ambition inextinguible malgré l’opération Barkhane. Tout cela a été dû en partie à la présence et la force d’un certain Mokhtar Belmokhtar, certes présumé mort depuis cinq ans et n’ayant donné aucun signe de vie, mais qui est un véritable vétéran de l’Afghanistan, devenu depuis l’ennemi numéro un des Français sur place ; et dont les successeurs attendent sûrement leur heure comme les Taliban l’ont fait à Kaboul. Ce sera dès lors le couronnement historique de leur résistance, aux Occidentaux et aux Etats compromis pour eux qui soutiennent la France dans la région. Face au terrorisme djihadiste caméléon, aucune armée conventionnelle n’est hélas efficace de nos jours. Belmokhtar, ancien chef historique d’AQMI, est justement à ce sujet un des exemples les plus frappants de «caméléon», transfuge de leader d’Al-Qaïda à leader d’une branche de l’Etat islamique. Fondateur d’Al Mourabitoun, qui signifie la Sentinelle, Belmokhtar prête allégeance à Daesh en mai 2015 et sera reconnu seulement en octobre 2016. Ciel menaçant sur le Niger et le Mali, Al Mourabitoun constitue depuis un grave danger pour la sécurité régionale en complément de Boko Haram. Comme l’explique le 6e rapport du secrétaire général sur la menace posée par Daesh du 31 janvier 2018, Boko Haram et l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest sont actifs dans des régions distinctes, et il n’y a pas de rapports de frictions entre eux. L’usage croissant des kamikazes par Boko Haram est un problème majeur pour ces derniers». En réalité, la «Sentinelle» doit beaucoup de sa réussite à la continuité et à la persistance jusqu’au-boutiste de certains combattants du djihad, et à la personnalité de son dirigeant, Belmokhtar qui a été l’un des rares survivants des anciens d’AQMI à avoir combattu en Afghanistan dans les années 1980, d’abord contre les Soviétiques, puis ensuite aux côtés des Taliban. Il a suivi toute l’évolution du djihad mondial depuis et on le retrouve sur de nombreux fronts depuis trois décennies. Pour Mathieu Guidère, auteur de L’Atlas du Terrorisme islamiste (2), la bête noire des Français est polymorphe et cela justifie sa force et son insaisissabilité : «A son retour en Algérie en 1993, il rejoint d’abord le GIA. A partir des années 2000, il s’installe dans le Grand Sahara […]. Après 2011, il rejoint à la faveur du Printemps arabe les groupes islamistes de l’Est libyen […] où il tisse des liens solides avec notamment Ansar al-Charia. Cela lui permet de s’armer à peu de frais puis de rester à l’abri des actions des opérations […] menées, à partir de janvier 2013, par l’armée française d’abord au nord du Mali, puis dans tout le Sahel. En 2015, face à la montée en puissance de l’Etat islamique en Libye, il retourne dans le Grand Sahara et intègre les rangs d’AQMI avec son groupe Al Mourabitoun».

Après l’allégeance à Daesh en 2015, Belmokhtar va mener un nombre d’attentats sanglants impressionnants et qui ont eu un fort retentissement mondial : l’attaque en 2013 du site gazier d’In Amenas en Algérie qui fit 40 morts, l’attaque de l’hôtel Radisson à Bamako en novembre 2015 (22 morts); attaque de l’Hôtel Splendid à Ouagadougou au Burkina Faso (30 morts) le 15 janvier 2016 et qui sera le pire attentat que le pays ait connu alors que l’armée française est sur place ; et enfin l’attaque en Côte d’Ivoire de la plage du Grand Bassam en mars 2016 très fréquentée par les touristes internationaux et qui fit 19 morts. Devant un tel succès, il ne restait plus à Daesh qu’à adouber son nouveau poulain ressuscité X fois depuis l’Afghanistan, celui que l’on surnomme toujours depuis le djihadiste aux 1001 morts. Mort ou pas, il aura fait assurément des émules et déclenché des vocation par son «héroïsme». Plusieurs années après, on en est toujours au même point : et la France devra se résoudre, pour protéger ses soldats à terme, à se retirer, dans la défaite et espérer, comme les Américains l’ont fait en 2021, espérer que les Etats concernés prennent le relais…. No comment ! Alors, un nouveau Calife, Belmokhtar ressuscité ou un autre, pourrait être à même de s’auto-proclamer le nouveau maître des lieux.

Sébastien Boussois

(1) Jean Claude Lattès, Paris, 2020

(2) Autrement, Paris, 2017.




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