Y aura-t-il «un professeur devant chaque classe», comme l'a promis le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye ? A moins de dix jours de la réouverture des écoles, la crise inédite de recrutement des enseignants risque de mettre à mal l'objectif.
«La rentrée sera difficile» pour l’école publique, a prévenu lors d’une conférence de presse le 23 août le premier syndicat du primaire, le SNUipp-FSU, en raison d’une crise majeure de recrutement. Le manque de candidats pour le concours a poussé le gouvernement à embaucher cette année un nombre record de contractuels dans de nombreuses académies, avec la question sous-jacente de leurs compétences et formations pour enseigner.
Cette année, plus de 4 000 postes n’ont pas été pourvus aux concours enseignants, dont 1 177 dans le premier degré, selon les chiffres d’admission au concours des professeurs des écoles. Le taux des postes pourvus, pour les collèges et lycées, se situe à 83,4%, contre 94,1% en 2021 – un chiffre historiquement bas.
Pap Ndiaye reconnaît «des difficultés» d’attractivité du métier mais se dit «confiant»
Dans le premier degré (écoles maternelles et élémentaires), de sérieux déficits aux concours ont été enregistrés dans les académies franciliennes, et plus particulièrement dans celles de Créteil et Versailles. A peine plus de 900 candidats ont été recrutés sur 1 665 postes ouverts à Créteil, et pas plus à Versailles, pour 1 600 postes ouverts.
Dans le second degré, plusieurs matières sont de leur côté loin d’avoir fait le plein aux concours, comme l’allemand, les lettres classiques, la physique-chimie ou les mathématiques. Pour pallier les manques, l’Education nationale a eu recours au recrutement de contractuels via des séances controversées de «job-dating», sortes d’entretiens organisés dans plusieurs académies afin d’embaucher en CDD des personnes qui ne sont pas passées par la voie des concours, pour enseigner après quelques jours de formation seulement.
Cette rentrée 2022 est la première de Pap Ndiaye, ministre de l’Education nationale, après cinq années de gestion de Jean-Michel Blanquer, très critiqué par la profession enseignante. Le ministre de l’Education nationale a toutefois relativisé le problème, malgré son défi de placer «un professeur devant chaque classe».
«Il y a des difficultés structurelles liées à l’attractivité du métier, mais à ce stade nous sommes confiants pour que la rentrée se passe au mieux», a-t-il ainsi déclaré le 23 août à l’issue d’une visite de la cellule de rentrée du rectorat de Créteil (sud-est de Paris). De telles cellules ont été mises en place cette semaine dans chaque académie pour régler les difficultés d’effectifs et répondre au mieux aux demandes des écoles et établissements.
Ces difficultés de recrutement particulièrement aiguës, notamment liées à une crise d’attractivité du métier, font craindre une rentrée scolaire sous tension. Le ministre de l’Education l’a toutefois répété : «Il y aura un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France» à la rentrée.
Dans l’académie de Créteil, particulièrement affectée par les difficultés de recrutement, «à ce stade, la situation est comparable, voire légèrement meilleure à celle de l’année dernière au même moment», selon Pap Ndiaye. Mais «il y a des difficultés dans certaines disciplines» du secondaire, en particulier pour les lycées professionnels, et le ministre promet que son cabinet y travaille. «Il est vrai que nous avons recours à une proportion d’enseignants contractuels qui est importante», a-t-il reconnu.
Le recours aux contractuels peu formés décrié par les syndicats
Les personnes retenues enseigneront dès la rentrée, avec souvent quelques jours de formation seulement, dispensés à partir de cette semaine. Ces efforts sont loin de convaincre les syndicats enseignants, qui se disent inquiets.
Il y aura des adultes dans les classes, mais dans certains cas ce ne seront pas des enseignants
«On peut déjà affirmer que non, il n’y aura pas un enseignant dans chaque classe à la rentrée, sauf à considérer qu’un contractuel embauché en trente minutes est enseignant en trente minutes», a souligné le 23 août Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU.
«Il y aura des adultes dans les classes, mais dans certains cas ce ne seront pas des enseignants, et c’est ça qui est inquiétant», a-t-elle ajouté lors de la conférence de presse, qualifiant les cellules de rentrée dans les rectorats de «poudre aux yeux».
«Quatre jours de formation, non, ce n’est pas une formation !», estime d’ailleurs le SNUipp-FSU, qui appelle le gouvernement à recruter dès à présent sur les listes complémentaires des concours, et comme professeur et non pas contractuel. Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, «c’est la rentrée de la pénurie».
«On a bien vu que les rectorats et le ministère bricolaient dans tous les sens pour pouvoir afficher un prof devant chaque classe à la rentrée», a-t-elle poursuivi. «Mais quand bien même cet objectif serait atteint, on peut se demander quel en sera le prix, si ce sont des professeurs qui ne sont pas formés», a-t-elle complété.
Dans un communiqué publié le 23 août, le Syndicat national des lycées et des collèges (SNALC) a également alerté sur une pénurie d’enseignants qui «ne cesse de s’accroître». L’organisation constate «des profs difficiles à recruter et difficiles à garder», car ceux-ci seraient notamment «nombreux à jeter l’éponge pour partir dans le privé, pas dans des écoles privées, mais dans des entreprises de soutien scolaire».
Lors de son déplacement, le ministre n’a pas évoqué les revenus des enseignants de France, inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE. Avant les vacances, il avait promis des augmentations de salaires, tout en soulignant que la rémunération n’était pas la seule explication au manque d’attractivité de la profession.
A ce sujet, le SNUipp-FSU a rappelé qu’il attendait beaucoup du nouveau ministre et du gouvernement, notamment sur cette question de la rémunération des enseignants, centrale dans la crise des vocations actuelle.
«Le gouvernement a procédé à un dégel du point d’indice […] mais on est très en-deçà de ce qu’il faudrait faire», a estimé Nicolas Wallet, co-secrétaire du syndicat. «C’est environ un mois de salaire qui manque à un professeur d’école pour compenser la perte de pouvoir d’achat cumulée entre 2010 et 2021», évalue l’organisation.
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