Même si la dernière frappe aérienne israélienne contre la Syrie semble totalement dénuée de sens, il paraît y avoir une réflexion stratégique claire.
Cet article a été initialement publié le 12 avril sur RT International par Bradley Blankenship, journaliste, chroniqueur et analyste politique américain.
Le 1er avril, Israël a bombardé et détruit le bâtiment annexe du consulat iranien situé à côté de l’ambassade d’Iran à Damas, en Syrie. La frappe, qui a coûté la vie à sept responsables militaires, a été largement condamnée par la communauté internationale comme une violation flagrante de la souveraineté de la Syrie, ainsi que de la Convention de Vienne et des normes établies des relations internationales.
Un bref aperçu de l’histoire montre que les acteurs étatiques n’ont pratiquement jamais attaqué les missions diplomatiques d’autres États, sauf pendant les périodes de guerre totale. L’exemple le plus pertinent et le plus récent est celui du bombardement par les États-Unis de l’ambassade de Chine à Belgrade, l’actuelle Serbie, en 1999, qu’ils ont qualifié d’accident. Pékin n’y a pas cru, malgré les excuses de l’administration du président Bill Clinton.
Une telle situation est totalement inadmissible et constitue un terrible précédent pour les relations internationales. Israël, ainsi que des pays comme les États-Unis, n’ont pas le droit de mener des opérations militaires en Syrie sans le consentement exprès du gouvernement syrien reconnu par l’ONU. De pareilles actions constituent une violation de la Charte des Nations unies.
Outre la Charte des Nations unies, l’attaque contre le consulat iranien constitue une violation de la Convention de Vienne de 1961, sur les relations diplomatiques et de la Convention de Vienne de 1963, sur les relations consulaires.
Craintes d’un effritement du soutien américain
Pour le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou, avoir eu recours à une telle escalade est un geste audacieux. La question se pose donc : pourquoi Israël a-t-il fait cela ?
Selon le New York Times, l’une des frappes a tué le général Mohammad Reza Zahedi qui aurait été en charge des relations de Téhéran avec le Hezbollah au Liban et d’autres groupements non-étatiques en Syrie, ayant rempli de nombreuses fonctions partout au Moyen-Orient au cours de sa carrière.
L’explication la plus simple de l’attaque serait qu’elle visait à entraver les opérations logistiques de «l’Axe de la résistance» et toute attaque potentielle contre Israël par un front uni.
En même temps, les raisons sont probablement beaucoup plus complexes et pourraient tenir au fait que la politique américaine actuelle consistant à donner carte blanche à Israël pourrait ne pas perdurer jusqu’à la fin de la décennie. Pour les hauts gradés israéliens, le moment est peut-être venu d’agir face à ce qui pourrait devenir une guerre existentielle.
En Occident, le soutien à Israël de l’opinion publique est mis à mal par le lourd bilan humain de ses opérations militaires dans la bande de Gaza. Mais cette chute dans l’opinion ne date pas d’aujourd’hui. En 2021, pendant les semaines de combats dans la bande de Gaza, pour la première fois, des membres du Congrès américain ont critiqué Israël. L’année suivante, les principales organisations de défense des droits de l’homme, telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, ont publié des rapports critiques accusant Israël d’apartheid.
Au milieu du mois dernier, l’administration du président Joe Biden s’est abstenue lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza. Le 4 avril, Joe Biden a également indiqué personnellement à Benjamin Netanyahou qu’il devait changer d’approche face à la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza. Malgré ces démarches, les États-Unis ont souligné que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n’était pas contraignante et qu’ils continuaient à fournir des armes pour soutenir l’effort de guerre d’Israël, réduisant ainsi à zéro toutes les paroles ou abstentions.
Même si le soutien américain est peut-être plus hésitant qu’auparavant, il est clair qu’en théorie, Washington est toujours du côté de l’État hébreu, du moins pour l’instant. Ainsi, on peut constater que les enjeux pour Israël sont extrêmement importants.
Enfin, il est indéniable que la survie de l’actuel gouvernement israélien était un facteur clé à l’origine de cette attaque. Le 14 mars, Chuck Schumer, chef de la majorité au Sénat des États-Unis, lui-même de confession juive, a personnellement critiqué le Premier ministre Netanyahou dans son discours au Sénat. Il a accusé le dirigeant «de permettre à sa survie politique de prévaloir sur l’intérêt d’Israël». Le sénateur a appelé à de nouvelles élections, ajoutant qu’Israël «ne peut pas espérer réussir en tant que paria opposé au reste du monde».
Un moyen de détourner l’attention du conflit à Gaza ?
Israël, l’armée la mieux équipée du Proche-Orient, est en état de guerre totale contre un groupe de guérilla, le Hamas, qui, comparativement, se bat plutôt avec des bâtons et des pierres. Il est extrêmement embarrassant pour le gouvernement Netanyahou de ne pas avoir encore réalisé son objectif d’éradiquer le Hamas et de libérer les otages enlevés par ce dernier le 7 octobre dernier. En outre, la réaction internationale presque unifiée contre Israël en raison de ses actions militaires à Gaza a rendu la situation insoutenable, même si un retrait signifierait également un suicide politique pour le Likoud.
Il est évident que le Premier ministre israélien a besoin de trouver une solution. Une voie évidente serait de pousser le gouvernement iranien dans une escalade majeure, détournant l’attention internationale des actions d’Israël à Gaza et forçant Washington et ses alliés à se rallier derrière l’État hébreu dans une apparente autodéfense. Il est intéressant de noter que Biden semble avoir ouvert la voie à une telle stratégie dans son dernier entretien téléphonique avec Netanyahou quand il a également ajouté que les États-Unis se défendraient «contre les menaces publiques iraniennes, contre Israël et le peuple israélien». Israël a, pour sa part, averti l’Iran que cela pourrait amener la situation à «un autre niveau» s’il ripostait à la frappe aérienne de Damas.
À en juger par la réaction de l’Iran, telle qu’elle ressort des déclarations officielles et des rapports des médias d’État, il est évident que les secteurs majeurs de la société civile et de l’élite à Téhéran exigent des représailles pour cette attaque. Selon les rapports anonymes des services de renseignement occidentaux cités par le média Bloomberg, une attaque est hautement probable.
Mais il est également probable que c’est précisément ce que le gouvernement israélien souhaite, espérant qu’un besoin instinctif de vengeance, s’ajoutant aux émotions suscitées par la situation à Gaza, pourrait forcer le gouvernement iranien à commettre un faux pas stratégique, permettant à Israël une ultime tentative pour s’assurer du soutien américain dans son effort militaire ainsi que pour garantir la survie politique de Netanyahou.
Les déclarations, points de vue et opinions exprimés dans cette chronique sont uniquement ceux de l’auteur et ne représentent pas nécessairement ceux de RT.
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