L'UE a rejeté le paiement en roubles du gaz russe, mais a reconnu l'impossibilité de remplacer l'intégralité des stocks alimentés par la Russie. Dans le même temps, plusieurs pays européens dont la Hongrie, régleraient déjà en roubles.
La Commission européenne et la présidence française du Conseil à l’issue d’une réunion d’urgence des ministres de l’Energie à Bruxelles ont déclaré que l’UE refuserait dorénavant de régler ses achats de gaz en roubles auprès de la Russie. Moscou avait fait cette demande en réponse aux multiples sanctions européennes qui ont suivi le déclenchement de l’opération militaire russe en Ukraine.
La demande de Moscou de payer les achats en roubles est «une modification unilatérale et injustifiée des contrats et il est légitime de la rejeter», a déclaré la commissaire à l’Energie Kadri Simson. «97% des contrats [conclus par les entreprises européennes] spécifient la devise pour le paiement et il s’agit soit de l’euro, soit du dollar américain», a-t-elle précisé.
Kadri Simson a affirmé ne pas avoir connaissance d’ouverture de comptes en roubles. «Des paiements sont prévus pour la mi-mai et la majorité des entreprises respecteront les règles des contrats», a-t-elle assuré. La ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili, présidente de la réunion, a confirmé la «volonté de respecter les contrats». «Nous devons nous préparer à une suspension des approvisionnements», a averti la Commissaire européenne.
Plusieurs Etats membres ont demandé des clarifications sur le paiement en roubles par le biais de l’ouverture d’un compte spécial et Kadri Simson a promis des «précisions détaillées pour expliquer aux entreprises ce qu’elles peuvent faire ou non».
La Russie a décidé de faire payer en roubles ses livraisons de gaz en Europe en mars dernier, rejetant tout règlement en dollars ou en euro et déclarant les Etats-Unis ainsi que l’UE en cessation de paiement. Vladimir Poutine a toutefois certifié que les livraisons seraient toujours assurées. Le changement de devise pour régler les livraisons de gaz se justifie au yeux du Kremlin comme la conséquence logique d’un «blocage des réserves russes en devises par les pays membres de l’Union européenne en violation du droit international».
Des ministres européens alertent sur l’incapacité à remplacer l’ensemble du gaz acheté à la Russie
De même, si la Commission se veut rassurante en affirmant qu’«il n’y a pas de risques immédiats pour les approvisionnements», elle a tout de même admis qu’il ne sera pas possible de «remplacer les 150 milliards de m3 de gaz achetés à la Russie par d’autres sources. Ce n’est pas tenable».
«Nous pouvons gérer le remplacement de 2/3 des approvisionnements en gaz russe », a précisé Kadri Simson, qui a insisté sur la nécessité pour les Etats membres de remplir leurs réserves et Barbara Pompili a souligné l’impératif de «diversifier la manière de produire l’électricité et de se chauffer».
«L’Europe doit se débarrasser de la dépendance aux énergies fossiles russes», a affirmé pour sa part la ministre polonaise Anna Moskwa. «Nos réserves seront à 100% de leurs capacités pour cet hiver», a-t-elle assuré. «Du gaz naturel liquéfié américain a commencé à arriver par la Lituanie et nous allons nous fournir en gaz de Norvège par le Danemark», a-t-elle expliqué.
Au grand dam de la Commission, les pays européens agissent en ordre dispersé
Au sein de l’Union, la nouvelle donne suscite des réactions diverses. La Pologne et la Bulgarie ont par exemple catégoriquement refusé de régler leurs achats en roubles. La compagnie gazière russe a en rétorsion suspendu ses livraisons, considérant que le règlement n’avait pas été effectué. Ce type de coupure concernerait, selon Moscou, les pays menant des «actes hostiles» contre la Russie.
D’autres pays ont pourtant accepté les changements demandés par la Russie, notamment la Hongrie qui a fait savoir qu’elle était prête à payer le gaz russe en roubles. «Nous ne voyons pas de problème dans le paiement en roubles, si c’est ce que les Russes veulent, nous paierons en roubles», avait déclaré le 6 avril le Premier ministre hongrois Viktor Orban.
Plus récemment, le 2 mai, Gergely Gulyás, chef de cabinet de Viktor Orban, a réitéré la position hongroise : «Nous ne devons pas adopter des sanctions avec lesquelles nous nous pénalisons principalement nous-mêmes au lieu de ceux que nous voulons sanctionner.»
Dans le détail, Budapest aurait ainsi ouvert un compte en euros auprès de la banque Gazprom qui convertit en roubles les euros transférés sur son compte par l’Etat hongrois.
«Neuf autres pays utilisent le même système de paiement, mais comme aujourd’hui l’idée d’être un bon Européen signifie aussi que les dirigeants de ces pays ne sont pas honnêtes lorsqu’ils s’expriment sur la scène internationale ou devant leur propre peuple, les neuf autres pays ne diront pas qu’ils font la même chose», a affirmé Gergely Gulyás dans des propos rapportés par le média Hungary Today.
L’Allemagne et l’Autriche s’étaient également dites prêtes à régler leurs factures en roubles fin avril 2022. L’Allemagne a en outre crée une «cellule de crise» pour garantir son approvisionnement après que le G7 ait rejeté la possibilité de régler la Russie en roubles.
Embargo sur le pétrole : Bruxelles réfléchirait à des dérogations
Les ministres européens ont également eu un échange sur un arrêt progressif des achats de pétrole et de produits pétroliers russes planifié par l’UE, mais aucune décision n’a été prise sur ce sujet pour l’heure.
«Un nouveau paquet de sanctions est en préparation, mais ce n’était pas le sujet de la réunion», a déclaré Barbara Pompili. «Nous travaillons sur un nouveau paquet de sanctions », a confirmé la commissaire Kadri Simson. Une réunion de l’ensemble des commissaires européens se tient à ce titre le 3 mai à Strasbourg, en marge de la session du Parlement. «La présidente Ursula von der Leyen précisera ce qui a été décidé», a fait savoir Kadri Simson.
La proposition est «finalisée et sera adoptée [le 3 mai] par la Commission», a indiqué à l’AFP une source européenne. «Je pense que la Commission proposera [le 3 mai] un 6e paquet de sanctions, y compris le retrait du pétrole russe», a déclaré le ministre allemand Robert Habeck.
La proposition doit être soumise aux Etats membres pour adoption. Si les 27 s’entendent sur cette mesure, l’arrêt des achats de pétrole et de produits pétroliers à la Russie sera progressif, sur six à huit mois, mais avec des mesures à effet immédiat, notamment une taxe sur le transport par tankers, a confié un responsable européen. L’UE a déjà imposé un embargo sur le charbon russe et fermé ses ports aux navires russes, à l’exception du transport d’hydrocarbures. Les principaux importateurs de combustibles fossiles de la Russie (gaz, pétrole brut, produits pétroliers et charbon) sont l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la France.
Toutefois, des pays pourraient s’y opposer, comme la Hongrie, qui dépend fortement du pétrole russe et a déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne signerait pas de sanctions concernant l’énergie. La Slovaquie fait également partie des pays de l’UE les plus dépendants des combustibles fossiles russes. Tous deux situés sur le tracé sud de l’oléoduc Druzhba qui achemine le pétrole russe vers l’Europe, ces deux pays ont reçu respectivement 96% et 58% de leurs importations de pétrole brut et de produits pétroliers en provenance de Russie l’année dernière, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Comme le rapportent deux sources citées par l’agence Reuters, la Commission réfléchirait à la possibilité d’«une exemption ou [d’]une longue période de transition» pour les récalcitrants.
L’Allemagne, premier acheteur de pétrole russe dans l’UE, a déclaré pour sa part qu’elle pourrait gérer un embargo pétrolier, alors qu’elle y avait initialement résisté par crainte du coût économique. Avec 555 000 barils par jour, l’Allemagne a importé 35% de son pétrole brut de Russie en 2021, mais a réduit ce chiffre à 12% ces dernières semaines, selon le ministère allemand de l’économie dans une mise à jour sur la sécurité énergétique le 1er mai.
Parallèlement au volet énergétique, «il y aura d’autres banques russes qui sortiront de Swift», a déclaré le 2 mai le chef de la diplomatie, Josep Borrell, en visite à Panama. Plusieurs sources diplomatiques européennes avaient indiqué ce week-end que la plus importante banque russe, la Sberbank, qui représente 37% du marché, devait ainsi être exclue de Swift. Ce système interbancaire est un rouage essentiel de la finance mondiale permettant de communiquer rapidement et de manière sécurisée sur les transactions.
De son côté Moscou entend, pour contrecarrer l’effet des sanctions, «concentrer ses efforts sur l’abandon du dollar, la substitution des importations et le renforcement de l’indépendance technologique», comme l’a rapporté le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dans une interview le 2 mai.
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