Accusé d'avoir recouru au logiciel-espion pour surveiller des dizaines d'indépendantistes, le gouvernement de Pedro Sanchez a catégoriquement démenti. Le Parlement européen va créer une commission d'enquête sur l'emploi de Pegasus sur le continent.
Le gouvernement espagnol a nié catégoriquement, le 20 avril, avoir espionné des dizaines de dirigeants indépendantistes catalans qui l’ont accusé d’avoir piraté leurs téléphones portables avec le logiciel Pegasus. L’Espagne «est un pays démocratique et un Etat de droit dans lequel on n’espionne pas, on n’intercepte pas de conversations, on ne place pas sur écoute, si ce n’est dans le cadre de la loi», a affirmé le 20 avril la porte-parole du gouvernement, Isabel Rodríguez.
La veille, le mouvement indépendantiste catalan a accusé Madrid d’avoir espionné illégalement des dizaines de ses chefs de file en installant le logiciel Pegasus sur leurs téléphones portables, après la publication du rapport d’une organisation canadienne documentant ces faits présumés.
Le président régional catalan, l’indépendantiste Pere Aragonés, a rejeté les explications du gouvernement : «Le gouvernement espagnol doit donner des explications et agir avec un maximum de transparence», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Barcelone, réclamant «une enquête interne avec un contrôle indépendant». «Espionner illégalement un adversaire politique nous éloigne de la résolution du conflit politique avec l’État», a-t-il ajouté.
Selon le rapport du Citizen Lab, organisme canadien basé à Toronto, au moins 65 indépendantistes catalans ont été ainsi espionnés entre 2017 et 2020. Parmi les personnes visées figurent Pere Aragonés, les ex-présidents régionaux Quim Torra et Artur Mas, ainsi que des eurodéputés, des députés régionaux et des membres d’organisations civiles indépendantistes. L’ancien président régional Carles Puigdemont, qui avait fui en octobre 2017 en Belgique pour échapper à la justice espagnole après la tentative de sécession de la Catalogne, n’a pas été directement espionné, mais nombre de ses proches, dont son épouse, l’ont été, précise l’organisme canadien.
«Le gouvernement n’a rien à voir» avec ces accusations et «n’a rien à cacher», a insisté sa porte-parole Isabel Rodríguez, affirmant que l’exécutif «[allait] collaborer autant que possible avec la justice pour enquêter sur ces faits» si les tribunaux le demandent.
Le Parlement européen va ouvrir une enquête plus large sur Pegasus
Parallèlement à ce nouveau rebondissement, le Parlement européen a annoncé le 19 avril qu’il allait constituer une commission d’enquête sur l’utilisation de Pegasus à l’échelle du continent. «La gravité du scandale Pegasus ne peut être sous-estimée», a déclaré l’élue libérale néerlandaise Sophie in’t Veld (Renew), désignée rapporteur de la commission qui cherchera à déterminer si l’utilisation de logiciels espions a enfreint le droit européen et les droits fondamentaux. Le rapport devrait être adopté dans un an, a précisé le groupe Renew.
«Le fait que des commissaires européens soient pris pour cible, peut-être par des gouvernements de l’UE, ne fait qu’exacerber une situation déjà grave. Nous devons aller au fond des choses», a ajouté Sophie in’t Veld, faisant allusion au fait que le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, serait au nombre des responsables européens espionnés grâce à Pegasus.
«Idéalement, le travail de cette commission d’enquête devrait être la première étape vers la réglementation de la vente et de l’utilisation internationales de la technologie des logiciels espions, ainsi que vers la conclusion d’accords juridiquement contraignants de non-espionnage pour les secteurs public et privé au sein des démocraties amies», a expliqué l’eurodéputé libéral allemand Moritz Körner (FDP), désigné à la vice-présidence de la commission d’enquête. L’ONG Amnesty international a pour sa part appelé, dans un communiqué publié le 19 avril, à «mettre fin aux abus des logiciels espion».
Interpellée sur la surveillance des indépendantistes catalans, la Commission européenne a déclaré le 19 avril ne pas être compétente pour traiter les activités de renseignement des Etats membres. «Nous comptons sur les systèmes judiciaires indépendants pour traiter des agissements de leurs gouvernements», a souligné l’un de ses porte-parole, renvoyant le problème à l’échelon national.
Cet argument a été critiqué par plusieurs parlementaires européens, écologistes notamment. «La question est européenne et l’enjeu est européen. Nous ne pouvons pas laisser cela à la discrétion des Etats membres, qui vont étouffer le scandale», a dénoncé l’eurodéputée allemande écologiste Hannah Neumann, lors d’une conférence de presse organisée par le groupe des Verts. «Nous devons nous armer […], élaborer un cadre normatif européen pour éviter que ce scandale se poursuive, et déterminer ce qu’on peut utiliser ou pas», a ajouté son homologue espagnole Diana Riba i Giner.
Une affaire qui pourrait raviver les tensions en Catalogne
La Catalogne, région du nord-est de l’Espagne, est le théâtre depuis plusieurs années d’une crise politique entre les indépendantistes, qui contrôlent l’exécutif et le parlement régional, et le gouvernement central. En octobre 2017, les partisans de la séparation d’avec Madrid avaient organisé un référendum d’autodétermination, malgré son interdiction par la justice et déclaré unilatéralement, en vain, l’indépendance de la région. Les tensions s’étaient apaisées depuis la reprise, en 2020, du dialogue entre les indépendantistes et le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez, qui a gracié neuf indépendantistes au nom de la «réconciliation». A la suite des révélations du Citizen Lab, Carles Puigdemont a quant à lui réclamé des poursuites contre le gouvernement espagnol.
Développé par le fabricant israélien NSO, le logiciel Pegasus permet, une fois installé dans un téléphone mobile, d’espionner l’utilisateur de l’appareil, accédant à ses messageries, ses données, ou activant l’appareil à distance à des fins de captation de son ou d’image. À l’été 2021, une vaste enquête médiatique avait révélé qu’il avait permis d’espionner les téléphones de journalistes, d’hommes politiques, de militants ou de chefs d’entreprises de différents pays, dont le président français, Emmanuel Macron.
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