Pour Gilles Casanova, la montée de l'insécurité en France découle principalement des choix politiques des gouvernants, au premier rang desquels le président de la République. Il plaide pour un changement de paradigme afin d'endiguer le phénomène.
Alors Premier ministre, à quelques mois d’une élection présidentielle qui allait l’éliminer dès premier tour, Lionel Jospin fit à la télévision cette confession : la montée du chômage et des inégalités ayant été la source d’un développement de l’insécurité et de la délinquance dans le pays, il avait pensé qu’en faisant reculer les inégalités et le chômage, la délinquance et l’insécurité reculeraient d’elles-mêmes. Il ajouta qu’il devait constater que bien que son gouvernement avait significativement fait reculer les inégalités et le chômage, un mouvement naturel de recul de l’insécurité et de la délinquance n’avait pas eu lieu, et que le phénomène était plus complexe.
Gilles Casanova est éditorialiste français, consultant pour la stratégie, la prospective et la communication. Il a été membre des cabinets ministériels de l’Intérieur et de la Justice.
La sûreté dans une société est le produit d’un grand nombre d’interactions. Une société sûre est une société dans laquelle la conflictualité est la plus basse possible. Bien sûr on évoque spontanément Victor Hugo : «Lorsqu’on ouvre une école on ferme une prison», ce qui nous rappelle que si l’Ecole fonctionne bien, si elle forme correctement la jeunesse pour la préparer à son insertion dans la société, elle va être un élément de diminution de la conflictualité. Le système de santé, s’il est capable de traiter correctement les questions de santé physique mais aussi les questions de santé mentale dans la société, va contribuer à l’apaisement de celle-ci. Un niveau de rémunération correct du travail, qui provoquera un sentiment de justice parmi la population laborieuse, va être un élément qui va concourir au même résultat, notamment en minimisant l’impact de l’économie informelle, dont l’existence favorise ensuite les trafics, qui favorisent à leur tour la délinquance. Il faut ensuite une population qui ait un degré de cohésion sociale qui lui permette de passer collectivement par-dessus les difficultés qui surgissent, qu’elles soient sanitaires, climatique, que ce soient des attentats ou des conflits extérieurs, enfin tout ce qui fait au jour le jour l’Histoire d’un peuple.
L’échec du premier quinquennat Macron
Or si l’on observe avec l’attention nécessaire l’œuvre du premier quinquennat d’Emmanuel Macron on se rend compte que, dans chacun de ces domaines, son intervention a été forte, qu’elle a été suivie de résultats visibles mais qui, tous, sont allés dans le sens de l’insécurisation et de la brutalisation de la société.
Si nous nous tournons vers l’Ecole, on note que les incitations déjà anciennes de l’OCDE pour faire baisser le niveau scolaire, à payer de moins en moins les nouveaux enseignants recrutés, et à les recruter à un niveau de qualification de plus en plus bas, tout en augmentant le nombre de diplômes distribués, pour que les parents ne se rendent pas compte du phénomène, ont été suivies à la lettre par les divers gouvernements du quinquennat. Le résultat est aujourd’hui un baccalauréat au taux de réussite phénoménal – 93,7 % en 2021 – et des «job dating» de 30 minutes dans les académies pour recruter des enseignants dans la population générale… on imagine que dans ces conditions l’insertion de la jeunesse dans la société va se faire dans des conditions de plus en plus difficiles, aggravées par le fait que les réformes successives des retraites laissent de moins en moins d’espace pour le recrutement de jeunes dans les postes qualifiés. Voilà de quoi orienter la jeunesse des quartiers populaires vers l’économie informelle, les trafics, et donc, à la sortie, la délinquance.
Si nous regardons maintenant la santé : malgré un discours très volontariste, et des mesures extrêmement vives – dont on ne peut pas s’empêcher d’observer le côté liberticide – pour répondre à la crise sanitaire, les autorités ont fait reculer l’hôpital public et la prise en charge de la santé dans la société de façon drastique : moins 4 900 lits en 2017, 4 200 en 2018, 3 100 en 2019, 4 300 en 2021, et jusqu’à 5 700 en 2020 année du Grand confinement, qui avait été justifié par le gouvernement pour endiguer la pression sur l’hôpital public…
Pour ce qui est de la cohésion sociale, le «commun» culturel de la société est ce qui rapproche les individus les uns des autres et donne à une nation sa cohésion, plus elle est forte et plus les phénomènes marginaux de délinquance et d’insécurité sont faibles. L’introduction de plus en plus vive de migrants provenant de régions de plus en plus lointaines, à la culture de plus en plus éloignée de la nôtre, des régions dans lesquelles l’Etat a disparu, avec lui l’Ecole, et avec lui tout garde-fou à la violence ouverte et à la loi du plus fort, a contribué à sa désagrégation. Lorsque la majorité de la population de moins de 25 ans est issue de l’immigration extra-européenne, dans nombre des banlieues des grandes villes, ce «commun» culturel disparaît pour laisser la place à un communautarisme qui fait souvent bon marché du respect des lois de la République.
Et si on considère les inégalités, on voit que la France est le pays où les milliardaires se sont le plus vite enrichis depuis cinq ans, beaucoup plus que la plupart des pays occidentaux. La France est depuis 5 ans le premier verseur de dividendes au monde, tandis que son nombre de pauvres s’accroit et l’on notera que le basculement des catégories moyennes vers le bas de l’échelle s’accentue…
Des forces de sécurité mal employées
Il n’y a donc aucune surprise à trouver la France 102e au classement mondial de la délinquance et de la criminalité, 95 places derrière la Suisse et le Japon, 77 places derrière les Pays-Bas, 60 Places derrière l’Espagne, le Luxembourg et l’Allemagne, en n’ayant plus derrière elle, principalement, que des pays au degré de développement faible.
Et s’y ajoute le fait que les forces de police et de gendarmerie ont été massivement mobilisées pour la défense de l’exécutif et de son chef, abandonnant la lutte contre l’insécurité et les trafics, ou affectées, toutes affaires cessantes, à d’autres missions, bien plus discutables. La lutte contre la contestation sociale, notamment des Gilets jaunes, dans un premier temps. Puis le contrôle social, des heures de sorties autorisées, de la distance du domicile, du port du masque, dans les transports ou en extérieur, du contrôle des restaurants et débits de boisson, pour la détention des QR codes du pass sanitaire puis vaccinal par les clients, on imagine comment cette déflagration s’est construite.
Le plus inquiétant, c’est le caractère de plus en plus vif de la progression de l’insécurité et de la délinquance dans le pays, et de l’élévation du niveau de violence, à l’encontre des forces de sécurité, comme de la part des forces de sécurité elles-mêmes. Les deux étant lancées dans une échelle de perroquet parfaitement délétère. En ne prenant que le cas du seul «refus d’obtempérer», qui est le plus symbolique, il y a eu 1 mort en 2020 – un policier –, il y eut 2 morts en 2021 et déjà 10 morts depuis le début de cette année 2022 !
Une agression a lieu dans le pays toutes les 44 secondes… un pays moderne ne peut pas durablement supporter une telle situation, c’est dire combien ce que la gauche bien pensante appelait «le sentiment d’insécurité» et qu’elle voulait soigner par de bonnes paroles, n’est pas un sentiment mais domine la vie de tant de nos contemporains. Notamment les moins favorisés.
Il ne se passe pas d’année, sans que l’on annonce, une nouvelle loi plus répressive, plus de peines, plus de prison ferme, plus de policiers, plus de gendarmes, des réservistes de police, qu’on va former en quelques jours, et à qui l’on va donner des armes… Mais si le policier est la réponse immédiate, sur place, à l’acte délinquant ou criminel, ce n’est pas lui sur le fond qui est de nature à endiguer le phénomène d’ensemble de la brutalisation de la société, de l’élévation du degré de violence. Tout cela est le résultat d’un choix politique global. Sans modifier les choix politiques fondamentaux de ce gouvernement, il n’y a aucun espoir d’enrayer la progression de plus en plus rapide de la délinquance et de la criminalité en France.
On ne peut pas gouverner les humains avec yeux rivés sur les chiffres des profits et des déficits, cette méthode conduit tout droit dans le fossé. Comme le disait Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux : «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes».
L’insécurité est la résultante d’une politique – Par Gilles Casanova