Face à l’opacité de la Commission européenne dans l’affaire des échanges de SMS entre sa présidente et le PDG de Pfizer, certains eurodéputés s’interrogent sur d’éventuelles poursuites à l’encontre de la tête de l’exécutif européen.
«Pourquoi ne pourrait-on pas saisir le parquet Européen?» Lors d’une réunion du Comité spécial sur la pandémie du Covid-19 le 7 septembre, en présence de la médiatrice de l’Union européenne Emily O’Reilly, l’eurodéputée française Michèle Rivasi (EELV) a mis les pieds dans le plat. «On ne peut pas en rester là», a-t-elle lancé, au sujet de l’affaire des échanges de SMS entre Ursula von der Leyen et Albert Bourla. L’élue écologiste française s’est interrogée également sur la possibilité de saisir l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), organe en charge de préserver les intérêts financiers de l’UE.
«Cela donne une très mauvaise image de l’Europe», a considéré l’eurodéputée, rappelant la manière dont les Européens ont appris comment s’était potentiellement négocié un important contrat d’approvisionnement de doses de vaccin anti-Covid. «On avait une négociatrice, et on s’aperçoit que notre présidente négocie directement avec le PDG de Pfizer», a asséné l’élue.
C’est le New York Times qui, fin avril 2021, avait évoqué des échanges «de textos et d’appels» entre le chef de l’exécutif européen et le patron du groupe pharmaceutique «pendant un mois». «Cette diplomatie personnelle a joué un grand rôle dans l’accord» qui venait alors d’être finalisé et portant sur 1,8 milliard de doses de vaccins Pfizer, affirmait alors le quotidien américain.
Affaire des SMS entre Von der Leyen et le PDG de Pfizer : L'image de l'Union européenne étant entachée, j'ai demandé à la médiatrice européenne en commission Covid qu’une enquête indépendante et crédible soit menée et que la confiance des citoyens envers l’Europe soit restaurée. pic.twitter.com/s4Jz3F08Cj
— Michèle Rivasi 🌍 (@MicheleRivasi) September 8, 2022
Des SMS dont le contenu – et l’existence même – demeure encore aujourd’hui un mystère, malgré des demandes de publication (même partielles) à la Commission restées lettre morte.
«Si une institution décide de ne pas divulguer un document, ce document ne sera pas divulgué», a répondu Emily O’Reilly lors de la réunion le 7 septembre, évoquant son expérience de près de 9 ans en tant que médiatrice de l’UE. «Cela s’appuie sur le fait que très peu de personnes sont prêtes à introduire un recours auprès de la CJUE, soit pour des raisons de coût, soit parce que cela pourrait prendre beaucoup de temps», précise-t-elle.
Une opacité des institutions européennes qui nourrit la défiance à leur égard
Cette journaliste de formation regrette certaines postures de l’exécutif européen qui tend, à ses yeux, à renvoyer à l’opinion publique une image d’opacité. Un manque de transparence que les eurodéputés avaient déjà dénoncé à l’occasion de la signature des contrats d’achat des vaccins. Des contrats auxquels les élus n’eurent qu’un accès limité, au nom du secret des affaires.
Pour la médiatrice, les institutions européennes devraient «être préoccupées par la méfiance des citoyens, être préoccupées par l’euroscepticisme», or elles «augmentent cela en étant secrètes sur des choses qui sont peut-être d’intérêt public ou vraiment mineures», ajoute O’Reilly. Selon elle, sans transparence la confiance des citoyens est mise à mal.
C’est d’ailleurs elle-même, lors de son propos introductif, qui a évoqué l’affaire des SMS.
«Les décideurs doivent s’assurer de l’intérêt de leurs concitoyens, ils doivent aussi être ouverts à leur égard et le cas échéant reconnaître leurs erreurs», a-t-elle notamment déclaré, évoquant un rapport à paraître de l’agence américaine CDC (pour Centres pour le contrôle et la prévention des maladies). «Il semble que dans son analyse l’agence reconnaisse que des erreurs ont été commises», souligne-t-elle, saluant un «Mea Culpa», «important» et constituant «peut-être un nouvel élément dans le débat public».
«Les décideurs doivent s’assurer de l’intérêt de leurs concitoyens»
Une situation «bien résumée» a, pour sa part, saluée l’eurodéputé RN Virginie Joron. «Un an après nous ne savons toujours rien», regrette-t-elle. Des erreurs sont constatées, des recommandations sont utiles, à un moment donné il va falloir aussi engager une procédure pour des sanctions» abonde-t-elle, dans le sens de la demande de son homologue écologiste.
En mai 2021, quelques jours après la publication de l’article du New York Times, un journaliste du site allemand Netzpolitik.org avait demandé au Secrétariat général de la Commission européenne que lui soient transmis les «SMS et autres documents» ayant menés à la signature de ce contrat de plusieurs milliards d’euros. Demande formulée au nom du règlement n° 1049/2001, qui garantit à n’importe quel citoyen de l’UE un accès «le plus large possible» aux documents des instances décisionnelles européennes.
Trois semaines plus tard, le secrétariat d’Ursula von der Leyen accepta de lui fournir un e-mail, une lettre et un communiqué de presse, mais aucun SMS. Aux yeux de la Commission, ceux-ci ne constituent pas des documents de travail de l’UE. Un «manque de transparence» dénoncé par le média allemand qui avait alors saisi la médiatrice européenne.
«SMS Gate», d’un scandale à un autre
En janvier, cette dernière donne tort à la Commission. «Si le document concerne le travail de l’institution […], c’est son contenu qui importe et non le support», avait tranché Emily O’Reilly, demandant à l’exécutif européen de rendre publics les messages avant la fin avril. Il n’en fut rien. Fin juin, la Commission fera savoir que sa présidente n’est plus en leur possession des fameux SMS. L’institution précisera au passage qu’il n’est pas de son devoir d’enregistrer et de conserver ce type de documents.
Cette affaire est d’autant plus embarrassante pour Bruxelles que ce n’est pas la première fois qu’Ursula von der Leyen et son téléphone portable se retrouvent empêtrés dans ce type d’affaires.
Lorsqu’elle était à la tête du ministère allemand de la Défense, la Cour des comptes avait épinglé les importantes dépenses liées à des contrats attribués à des cabinets de consultants externes (McKinsey et Accenture).
Au-delà du fait qu’Ursula von der Leyen avait elle-même dirigée le bureau berlinois de McKinsey avant d’être propulsée ministre, ce qui avait particulièrement choqué les membres de la Commission parlementaire qui s’était penchée sur son cas, est la manière dont elle aurait fait fi des procédures…
Désignés comme pièces à conviction, deux téléphones portables d’Ursula von Der Leyen saisis par le législateur allemand s’avéreront avoir été expurgés de leurs SMS.
Covid : selon le Financial Times, Pfizer et Moderna ont augmenté le prix des vaccins en Europe