Réagissant aux intentions affichées par Paris de créer un nouveau média d'influence sur le continent africain, le ministère russe des Affaires étrangères a estimé que ce dernier visait à discréditer Moscou et à redorer le blason terni de l'Hexagone.
Le ministère russe des Affaires étrangères a réagi à la volonté affichée par Paris de créer un nouveau média en ligne pour couvrir l’actualité du continent africain du point de vue français, un projet qu’avait évoqué La Lettre A dès le mois de novembre en signalant que le quai d’Orsay envisageait de s’inspirer «notamment de Brut», média qui a connu un succès certain avec ses vidéos orientées vers les réseaux sociaux.
Les contours du projet se préciseraient, d’après une note du réseau d’experts en intelligence économique AEGE, selon qui le dossier a suscité l’intérêt d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. La «Maison des mondes africains et des diasporas», structure portée par Emmanuel Macron depuis 2021 afin de revivifier les relations entre Paris et l’Afrique, pourrait accompagner le lancement de ce nouveau support.
La diplomatie russe a mis en doute cette affirmation, estimant que la politique éditoriale du nouveau média sera très probablement «supervisée directement par le quai d’Orsay, agissant dans les “meilleures traditions” de la propagande d’Etat». Alors que l’influence de la France est en chute libre sur le continent africain, tendance illustrée encore récemment par la demande faite à Paris par le Burkina Faso de retirer ses troupes, le ministère russe des Affaires étrangères avance que le contenu de ce futur média en ligne sera à «double usage», puisqu’il «visera non pas tant à transmettre aux Africains la vision française des problèmes mondiaux et régionaux» qu’à «discréditer la Russie, qui a historiquement entretenu des relations amicales avec de nombreux Etats du continent».
D’après la diplomatie russe, l’ambition française paraît cependant vaine compte tenu de son image très dégradée en Afrique : «Paris croit-il vraiment que diffuser ses propres vidéos sur les réseaux sociaux permettra de corriger l’image coloniale et néocoloniale de la France en Afrique ?», a-t-elle ironisé.
La diplomatie russe dénonce le double discours de Paris sur la liberté d’expression
Le ministère a par ailleurs fustigé «l’approche sélective» de l’Hexagone en matière de liberté d’expression et d’information, dans la mesure où «toutes les déclarations retentissantes et […] habituelles sur la liberté d’expression sont éphémères en France». Selon la diplomatie russe, Paris tente «d’empêcher la diffusion de toute information différente de sa position officielle, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger», pratique dont l’interdiction de diffuser faite à RT France fournit «un remarquable exemple».
En outre, les tentatives de contrer l’influence des médias russes sur l’audience africaine sont «évidemment futiles», selon Moscou, faisant valoir que le continent s’intéresse à son point de vue et que «personne ne pourra en bloquer l’accès aux lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs», quelle que soit la stratégie adoptée par Paris.
Moscou a en effet noué une série de partenariats avec des pays africains dans les domaines économiques et sécuritaires, voyant son audience croître au grand dam de Paris comme des Etats-Unis. Décryptant le projet, le réseau AEGE estime que s’il «est présenté avant tout comme un outil de “soft power”, son utilité réelle est bien de servir de caisse de résonance pour répandre […] le narratif français, à la fois sur le plan défensif (en répondant aux fausses informations ou accusations dont peut faire l’objet la France), mais aussi sur le plan offensif (en répandant des contenus favorables aux intérêts français ou diabolisant, par exemple, l’action des Russes ou des Chinois)».
Paris à la recherche d’une stratégie africaine
Emmanuel Macron avait déjà tenté de mobiliser les journalistes français à l’automne, exhortant début septembre «à mieux utiliser le réseau France Médias Monde [FMM], qui est absolument clé, qui doit être une force pour nous», dans le cadre d’une rivalité assumée avec Moscou et Pékin. Il s’était alors attiré la vive réplique des sociétés de journalistes des médias publics France 24 et RFI, qui avaient affirmé que leur métier ne consistait pas à être «le porte-voix de l’Elysée» en Afrique et qu’ils ne céderaient pas «une once de leur indépendance».
«En pleine disgrâce au Sahel», selon une formule employée par l’AFP, la France est à la recherche d’une stratégie pour enrayer sa perte d’audience en Afrique. L’agence française rappelle que le président Emmanuel Macron s’était donné six mois pour définir de nouvelles orientations après l’annonce de la fin de l’opération Barkhane en novembre. Les conclusions de ces réflexions seraient attendues «dans les prochaines semaines», selon une source gouvernementale citée par l’AFP.
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