La résolution des multiples problèmes régionaux dépend de la désescalade dans le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza.
Cet article a été initialement publié sur RT International par Murad Sadygzade, président du centre d’études du Moyen-Orient et conférencier invité à l’Université HSE de Moscou.
Plus de 100 jours se sont écoulés depuis la dernière escalade majeure du conflit israélo-palestinien. Le 7 octobre 2023, les brigades Izz ad-Din al-Qassam, communément considérées comme la branche militaire de l’organisation du Hamas, ont attaqué Israël et annoncé le lancement de l’opération «Déluge d’Al-Aqsa».
À la suite de l’attaque, pas moins de 5 000 roquettes ont été tirées sur Israël et des milliers de militants ont franchi la frontière israélienne. Les autorités de l’État hébreu ont temporairement perdu le contrôle de plusieurs kibboutz. Au total, selon les chiffres officiels, environ 1 200 Israéliens ont été tués et plus de 240 personnes ont été prises en otage, des civils, des militaires et des agents de sécurité.
Au milieu de l’après-midi du même jour, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont lancé des frappes aériennes contre Gaza et, à la tombée de la nuit, le Conseil de sécurité israélien a approuvé à l’unanimité une opération terrestre dans l’enclave palestinienne, comme l’a annoncé le Premier ministre Benjamin Netanyahou dans un discours à la nation.
Il a promis de «réduire en ruines» tous les endroits où les membres du Hamas «se cachent» et a appelé les civils à quitter Gaza. Le gouvernement israélien a répondu aux attaques en annonçant le lancement de l’opération «Épées de fer», qui comprenait un ensemble d’actions visant à éliminer la menace du Hamas. Les frappes aériennes sur Gaza ont commencé immédiatement, mais l’opération terrestre a été retardée alors qu’Israël et ses alliés évaluaient les conséquences potentielles.
Tsahal a perdu 200 hommes à Gaza
Malgré les prédictions de certains experts selon lesquelles l’escalade ne durerait pas plus de deux ou trois semaines, plus de trois mois se sont écoulés et il n’y a pas le moindre indice d’une diminution de l’intensité du conflit. Au total, depuis le début de l’opération israélienne, Tsahal a perdu 200 soldats, soit plus que pendant la guerre du Liban de 2006. Pendant ce temps, du côté palestinien, 23 084 personnes ont été tuées, 58 926 blessées et 7 000 sont portées disparues à la mi-janvier, selon le ministère de la Santé de Gaza dirigé par le Hamas.
Le nombre de victimes continuera d’augmenter, la communauté internationale étant incapable de parvenir à un consensus et de faire pression sur les parties au conflit pour qu’elles cessent les combats et s’orientent vers un règlement diplomatique. La raison en est le haut niveau d’internationalisation de l’affrontement actuel entre Palestiniens et Israéliens.
La guerre à Gaza est devenue une nouvelle ligne de faille géopolitique, avec les États occidentaux et Israël d’un côté, et les Palestiniens et les pays du Sud de l’autre.
Quelles sont les raisons de l’escalade actuelle ?
Il est incorrect de parler de ce qui a provoqué la guerre à Gaza de manière isolée. Il est nécessaire de comprendre que le conflit entre Palestiniens et Israéliens a commencé au milieu du XXe siècle et qu’il n’a pas été résolu à ce jour. La radicalisation de la résistance palestinienne s’est produite proportionnellement à l’agression des autorités israéliennes contre les habitants de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Un millier de Palestiniens sont tués chaque année en raison des opérations militaires de Tsahal, mais il n’y a pas de réponse significative des acteurs mondiaux et régionaux.
Il n’y a pas de réelle volonté de la part des autorités de l’État hébreu de résoudre le conflit, car le gouvernement d’extrême droite dirigé par Netanyahou n’est pas prêt à une solution de compromis et il est peu probable qu’il permette la création d’un État arabe de Palestine à part entière. Parallèlement, la résistance palestinienne reste très diversifiée et fragmentée, et aucune force unique qui puisse défendre les intérêts palestiniens dans les négociations avec Israël n’a émergé. Les principaux acteurs, le Fatah et le Hamas, sont toujours en conflit l’un avec l’autre, n’ayant pas réussi depuis longtemps à unir leurs efforts afin de lutter pour l’avenir du peuple palestinien.
Cependant, il est toujours utile d’examiner les raisons qui ont causé cette dernière escalade majeure dans un conflit de longue date. Il est à noter que dans les années avant la guerre, Netanyahou était en disgrâce, à la fois auprès de nombreux citoyens et auprès de ses alliés en Occident. En décembre 2022, il a réussi à remporter des élections particulières au sein d’une coalition et à revenir de nouveau sur le «trône». Mais le pays était durement touché par une longue crise politique et par des difficultés économiques qui ont commencé à cause de la pandémie de Covid-19. La situation s’est aggravée par la réforme judiciaire de Netanyahou. Les forces de l’opposition ont commencé à organiser des manifestations de masse à travers le pays, qui se poursuivent toujours. La pression augmentait également de la part des États-Unis et d’autres alliés occidentaux, qui critiquaient Netanyahou pour ses machinations «dictatoriales» et son refus de soutenir pleinement l’Ukraine.
Du côté palestinien aussi, il y a eu beaucoup de changements. Le Hamas devenait de plus en plus populaire parmi la majeure partie de la population de Cisjordanie alors que le Fatah, dirigé par Mahmoud Abbas (Abu Mazen), le président de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), perdait son influence politique. Abbas a 88 ans et dirige l’ANP depuis environ 20 ans. Le Fatah a été accusé de corruption et de ne pas avoir assuré la sécurité et le bien-être économique de ses citoyens. Plus important encore, selon de nombreux Palestiniens, Abbas n’a rien fait pour faire avancer la question d’un État indépendant à part entière.
Simultanément, le Hamas a fait et continue de faire de nombreuses actions et déclarations populistes qui répondent aux aspirations des nationalistes, des extrémistes religieux, des jeunes et de ceux qui ont souffert des actions d’Israël. Avec l’un des gouvernements de droite les plus extrêmes jamais au pouvoir en Israël, qui ne veut même pas envisager la création d’un État arabe en Palestine, la position du Hamas selon laquelle le problème peut être résolu par la force trouve de plus en plus d’écho auprès de la population.
Il y a aussi plusieurs raisons extérieures à la région. Ce n’est un secret pour personne que l’ordre mondial est en déclin. Les grandes puissances mondiales règlent leurs relations et ne se soucient pas des petits acteurs. Les États-Unis sont occupés à essayer de nuire à la Russie et à la Chine, mais jusqu’à présent, ils semblent avoir fait un mauvais calcul, surestimant leur capacité à mettre en œuvre leurs plans au moyen de méthodes de force. Les acteurs de «taille moyenne» ont choisi soit d’adhérer à l’un des blocs, soit de prendre une position neutre. Chacun est occupé par ses propres problèmes, laissant des puissances «juniors» comme Israël jouer à leurs jeux et résoudre des problèmes qui auraient autrement causé trop de bruit à l’international.
La crise a éclaté soudainement, mais les événements n’étaient pas inattendus. Et une autre chose s’est produite. Le monde a rapidement été divisé en partisans d’un camp ou de l’autre, mais peu ont parlé de la nécessité de la désescalade du conflit. La Russie était l’une de ces voix, mais les États-Unis n’ont pas adoubé le rôle de Moscou en tant que gardien de la paix, bloquant toutes ses initiatives sur les plateformes internationales. Cette scission a intensifié l’escalade actuelle. C’est ainsi que la crise israélo-palestinienne actuelle a été internationalisée, ce qui ne fera qu’aggraver la situation.
Un autre facteur important a été le processus historique de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. Si Riyad et Jérusalem-Ouest réparaient leurs relations, et si le gardien des deux lieux saints de l’islam reconnaissait Israël, la résistance palestinienne perdrait un soutien important de la oumma musulmane. Des contradictions persistent entre Israël et l’Iran, qui influencent également sans aucun doute l’approfondissement du conflit, bien que Téhéran fasse preuve de retenue et ne veuille pas s’impliquer dans des hostilités majeures avec Israël et, plus important encore, avec les États-Unis.
Les «portes de l’enfer» sont ouvertes à Gaza
Le terrain fertile pour le conflit ne se limitait pas aux causes sous-jacentes examinées ci-dessus. Il y avait de nombreux catalyseurs différents. Mais les questions les plus pressantes sont maintenant de savoir combien de temps durera le conflit, ce qui se passera sur le terrain et comment tout cela se terminera.
Dans l’un de ses discours après l’attaque des brigades Al-Qassam, le ministre israélien de la Défense, le général de division Yoav Galant, a averti que le Hamas avait ouvert «les portes de l’enfer dans la bande de Gaza». Les autorités israéliennes et l’armée ont longtemps reporté le début de l’opération terrestre, réalisant qu’elle pourrait en effet ouvrir un «portail vers le monde souterrain». De plus, leurs alliés à Washington étaient très réticents à lancer une action militaire à grande échelle, car ils comprenaient la complexité de la situation et l’ingérence potentielle des principaux acteurs dans les affrontements armés.
Netanyahou avait ses propres plans. L’opération terrestre a commencé et les États-Unis ont déployé leurs troupes et leur marine dans la région pour décourager les principaux acteurs d’intervenir dans le conflit. Mais Washington n’a pas réalisé qu’aucun des grands ou petits pays de la région n’était prêt pour une action militaire ouverte. Cela n’a pas empêché divers groupes proxys de la région d’agir contre les États-Unis et Israël. L’Iran, étant un antagoniste clair d’Israël et des pays occidentaux actifs dans la région, a été très réservé et a montré qu’il ne voulait pas d’une guerre ouverte. Malgré cela, la série d’événements dans le conflit de Gaza a démontré le désir de certains participants de provoquer l’implication à grande échelle de l’Iran dans les hostilités.
Un conseiller militaire iranien, le général Reza Mousavi du Corps des gardiens de la révolution islamique, a été tué en Syrie. Ensuite, l’armée américaine a frappé Bagdad, tuant Talib Al-Saidi, commandant des forces de la milice populaire chiite Harakat Hezbollah al-Nujaba. L’attaque terroriste à Kerman en Iran le 3 janvier – une série de deux explosions au cimetière de la ville lors d’une cérémonie marquant l’anniversaire de l’assassinat de Qasem Suleimani – a fait au moins 200 victimes. Bien que des membres de l’organisation terroriste État islamique en aient revendiqué la responsabilité, le public et les autorités du Moyen-Orient en Iran sont convaincus qu’Israël et ses alliés occidentaux en sont responsables.
Le 16 janvier, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien a tiré des missiles sur des cibles dans la province syrienne d’Idlib ainsi que dans la capitale de la région du Kurdistan irakien, Erbil. Les explosions se sont produites près du consulat américain et des bases militaires américaines. Selon les autorités kurdes, l’attaque a fait quatre morts et six blessés. Washington, pour sa part, a déclaré qu’aucun citoyen américain n’avait été blessé. Une telle décision de l’Iran a montré que la situation avait atteint une limite et que l’escalade s’était nettement intensifiée.
La situation avec le mouvement Ansar Allah au Yémen, c’est-à-dire les Houthis, qui lancent régulièrement des roquettes et des drones en direction d’Israël, et bloquent le golfe d’Aden au passage des navires liés à Israël et ses alliés occidentaux, est également compliquée. Les États-Unis ont réuni une coalition pour l’opération «Gardien de la prospérité» en réponse aux actions du groupe et il a même été question d’une éventuelle intervention terrestre au Yémen pour combattre les Houthis, mais tout le monde se rend compte que ce ne sera pas facile. Les attaques continues des Houthis contre des navires commerciaux et un échange de tirs avec des navires de guerre américains dans la mer Rouge ont entraîné des frappes de missiles américains et britanniques sur les positions d’Ansar Allah au Yémen. Ainsi, le Moyen-Orient s’est rapproché d’une guerre régionale.
Plus près des frontières d’Israël, il y a le Hezbollah libanais. L’armée israélienne frappe périodiquement le sud du Liban, ce qui est généralement considéré comme une violation du droit international, au point que Jérusalem-Ouest semble essayer activement d’entraîner le Hezbollah et l’ensemble du Liban dans une guerre à part entière. Alors que le Hezbollah a pris des mesures contre Israël, elles sont limitées à des escarmouches transfrontalières et à des déclarations agressives. La situation s’aggrave compte tenu de la récente attaque israélienne contre Beyrouth, la capitale du Liban, qui a tué Saleh al-Arouri, chef adjoint du bureau politique du mouvement palestinien Hamas.
En ce qui concerne Gaza elle-même, il semble que les «portes de l’enfer» se soient réellement ouvertes. Sur une superficie de 365 kilomètres carrés, environ deux millions de personnes vivent une catastrophe humanitaire. Le nombre de morts augmente chaque jour, mais il est peu probable que l’opération terrestre de Tsahal se termine de sitôt. Pour éliminer le Hamas, Israël devra détruire une idée même, et non pas quelque chose de tangible. D’ailleurs, les brigades Al-Qassam se sont préparées depuis des années à un tel scénario de confrontation avec Israël. Tsahal a déjà rencontré des difficultés considérables. Même si les Israéliens contrôlent officiellement la partie nord de l’enclave, il y a toujours des combats dans ces territoires.
Quelle pourrait être la prochaine étape et où tout cela mènera-t-il ?
«Cette guerre a des objectifs complexes et se déroule sur un territoire complexe. La guerre dans la bande de Gaza durera encore de nombreux mois», a déclaré le chef d’état-major général des Forces de défense israéliennes Herzi Halevi le 26 décembre. C’est vrai. La guerre sera longue, d’autant plus si des groupes proxys s’impliquent de plus en plus. L’État hébreu supporte des coûts financiers et de réputation substantiels et sera forcé de mettre fin à l’opération militaire tôt ou tard, mais il semble qu’il soit dans l’intérêt de Netanyahou et de l’ensemble du commandement de l’armée de continuer aussi longtemps qu’ils le pourront. Une fois l’escalade terminée, tous les hauts responsables seront probablement traduits en justice, en particulier Netanyahou, qui fait toujours face à quatre accusations de corruption et à une opposition massive aux réformes judiciaires de son gouvernement. Ainsi, c’est soit la guerre, soit la prison.
Les États-Unis sous l’administration du président Joe Biden protégeront Israël, mais pas Netanyahou, avec qui les démocrates n’entretiennent pas de relations très chaleureuses. D’un autre côté, la montée potentielle au pouvoir de Donald Trump pourrait inciter davantage Netanyahou à agir de manière décisive et dure. Mais pour ce scénario, le Premier ministre israélien doit tenir au moins un an de plus. En attendant, nous verrons une pression croissante sur Netanyahou de la part de Washington, mais tout se fera par des canaux fermés et cachés aux yeux du public.
L’opinion publique internationale exerce une forte pression sur les autorités israéliennes avec des rassemblements en défense des Palestiniens pacifiques partout dans le monde. L’agenda de l’information au niveau mondial est clairement du côté des Palestiniens, et Israël doit faire quelque chose à ce sujet, sinon cela ne fera qu’empirer. Il en va de même dans la région. «La rue arabe» sympathise beaucoup avec ses «frères palestiniens», augmentant la pression sur les gouvernements concernés pour qu’ils agissent de manière plus décisive et plus dure contre Israël.
Le gouvernement de droite de Netanyahou est obsédé par l’idée que les colonies juives dans les territoires palestiniens occupés s’élargissent. Compte tenu des informations non confirmées sur les négociations d’Israël avec divers pays pour accepter des réfugiés palestiniens, on peut supposer que les autorités actuelles envisagent une «israélisation» complète des territoires palestiniens. Jérusalem-Ouest, sous son gouvernement nationaliste, poursuivra la politique d’éviction des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Cela nécessitera une opération militaire prolongée, qui pourrait avoir l’effet inverse et éventuellement déclencher une guerre régionale majeure et sanglante, car à tout moment des poussées inattendues peuvent épuiser la limite de retenue et de patience de plusieurs acteurs qui passeront à une implication plus active.
Sans aucun doute, le scénario ci-dessus serait un désastre. La meilleure option serait un arrêt des hostilités et une reprise du dialogue politique. Des négociations avec la participation de garants devraient être fondées sur les résolutions de l’ONU et entraîner la création d’un État arabe de Palestine à part entière et des garanties de sécurité et de reconnaissance universelle de l’existence de l’État d’Israël. Malheureusement, le scénario d’un règlement pacifique est peu probable, car les turbulences politiques mondiales et plusieurs autres facteurs empêchent les parties au conflit de trouver un dénominateur commun.
Prédire l’issue des conflits est un processus complexe, en particulier au Moyen-Orient, où plusieurs facteurs externes et internes jouent simultanément un rôle important. Une chose est certaine : la voie de la violence dans ce conflit ne mènera pas à la paix et à la prospérité, mais ne fera que radicaliser davantage la région et créer un terrain fertile pour l’activité d’éléments destructeurs. Le conflit israélo-palestinien est souvent appelé simplement le «conflit du Proche-Orient», et c’est un nom approprié car de sa résolution dépend la solution d’un nombre important de problèmes dans toute la région du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord.
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