Accueilli par son homologue Abdelmadjid Tebboune, le président français a évoqué une «page nouvelle» dans les relations entre Paris et Alger. Une coopération économique renforcée et un travail mémoriel commun sont censés mettre fin aux crispations.
Le président français Emmanuel Macron poursuit ce 26 août une visite de trois jours en Algérie, destinée à donner un nouvel élan à la relation entre les deux pays et mettre fin à une période de tensions diplomatiques, en mettant l’accent sur un renforcement de la coopération économique et un travail mémoriel commun sur la période de la colonisation et de la guerre d’indépendance. Des sujets de tensions perdurent cependant, en particulier sur le nombre de visas accordés par la France.
Abdelmadjid Tebboune évoque «des perspectives prometteuses»
Le chef de l’Etat se rend ainsi, le 26 août, au cimetière européen de Saint-Eugène, le principal de la capitale du temps de la colonisation française de l’Algérie, pour un hommage aux soldats «morts pour la France». Le 25 août, au premier jour de sa visite, il s’était recueilli au mémorial des martyrs algériens de la guerre d’indépendance (1954-62) face à la France. A l’issue d’un entretien de plus de deux heures, le président français et son homologue algérien ont scellé leur réconciliation après des mois de brouille diplomatique. Abdelmadjid Tebboune s’est ainsi félicité de «résultats encourageants» qui permettent de «tracer des perspectives prometteuses dans le partenariat spécial qui nous lie». Le dirigeant algérien a annoncé la relance de plusieurs comités intergouvernementaux notamment dans les domaines économique et stratégique.
La visite coïncide avec le 60e anniversaire de la fin de la guerre et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie en 1962, récemment fêté en grande pompe dans la capitale. Le président français a souligné la volonté des deux pays de regarder vers l’avenir et «travailler ensemble sur ce “passé commun […] complexe, douloureux». «Le passé nous ne l’avons pas choisi, nous en héritons, c’est un bloc, il faut le regarder le reconnaître, mais nous avons une responsabilité, c’est de construire notre avenir pour nous-mêmes et nos jeunesses», a-t-il ajouté, dans une déclaration faite aux côtés de son homologue Abdelmajid Tebboune.
A cette fin, Alger et Paris vont créer «une commission mixte d’historiens» afin de se pencher sur l’ensemble de la période historique allant «du début de la colonisation à la guerre de libération, sans tabou, avec une volonté[…] d’accès complet à nos archives», a annoncé Emmanuel Macron. Cette démarche fait suite à la venue à Alger le 4 juillet de l’historien français Benjamin Stora, auteur d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.
La coopération économique et la délicate question des visas
Le président français a également annoncé le lancement d’un projet commun d’«incubateur de start-ups», soulignant les «talents» des deux pays dans le domaine du numérique. Il a également proposé de «développer des programmes [communs] de création cinématographique et de studios», ainsi que de formation dans ces métiers. «Il n’est d’avenir que s’il y a des récits d’avenir», a-t-il estimé.
Quant à la délicate question des visas attribués par la France, dont le nombre a été divisé par deux en 2021 face à la réticence d’Alger à réadmettre des ressortissants indésirables en France, Emmanuel Macron a fait état d’un travail commun «pour traiter les sujets les plus sensibles de sécurité», et évoqué la perspective de déployer «une mobilité choisie» pour les artistes, sportifs, entrepreneurs et scientifiques, afin de «bâtir davantage de projets communs».
La fin du conflit ukrainien, une «cause commune» ?
Les deux dirigeants ont aussi abordé la situation du Mali, d’où l’armée française vient de se retirer, du reste du Sahel, de la Libye et du Sahara occidental. Abdelmadjid Tebboune a évoqué la nécessité «d’efforts conjugués pour consolider la stabilité dans la région».
Les livraisons de gaz algérien à l’Europe sont aussi dans tous les esprits, même si l’Elysée assure que ce n’est «pas l’objet de la visite». Depuis le début du conflit en Ukraine, l’Algérie, premier producteur de gaz en Afrique et l’un des dix premiers au monde, est très sollicitée par des Européens pressés de réduire leur dépendance à l’égard du gaz russe. L’Italie a pris les devants en négociant dès le 18 juillet une augmentation de sa fourniture de gaz par l’Algérie.
Emmanuel Macron a aussi évoqué la question de l’Ukraine et appelé l’Algérie, qui s’est abstenue de condamner l’intervention militaire de la Russie, à faire de la «fin à la guerre en Ukraine une cause commune». «Cette crise, l’ensemble des crises qui sont le fruit de cette guerre lancée par la Russie, qu’il s’agisse de crises humanitaire, diplomatique, alimentaire, énergétique, déstabilisent profondément l’ensemble de la planète, et tout particulièrement le continent africain, faisant courir des risques de pénuries et je crois que notre responsabilité est aussi de les traiter ensemble», a-t-il insisté.
Après la visite de Sergueï Lavrov à Alger en mai, le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait quant à lui évoqué le 31 juillet la possibilité que l’Algérie adhère au groupe de puissances émergentes BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), sans pour autant s’avancer plus. «Les BRICS nous intéressent car ils permettent de s’éloigner de l’attraction des deux pôles», avait ainsi déclaré le président algérien, manifestement peu enclin à s’aligner sur l’Occident.
C’est la deuxième fois qu’Emmanuel Macron se rend en Algérie en tant que président, après une première visite en décembre 2017. Les relations entre les deux pays étaient alors au beau fixe avec le président français, qui avait qualifié avant son élection la colonisation française de «crime contre l’humanité». Mais elles ont rapidement tourné court, les excuses attendues par Alger pour la colonisation n’étant jamais venues. En octobre 2021, les propos d’Emmanuel Macron sur le «système politico-militaire» algérien qui profiterait d’une «rente mémorielle» et l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation ont provoqué une grave rupture. Les deux présidents ont ensuite remis progressivement en route le partenariat bilatéral.
Le président algérien n’exclut pas de rejoindre les BRICS