Avocat au barreau de Paris, Jean-François Marchi décrypte les enjeux des élections législatives qui ont lieu au sortir de la présidentielle : un scrutin crucial, notamment pour le rayonnement international de la France.
Il ne suffit pas de dire que l’homme est moutonnier, grégaire, suiviste etc… il faut le vivre. C’est vrai jusqu’à l’absurde. C’est un fait social qui ne procède pas nécessairement de la lâcheté, mais sans doute plus profondément d’une aspiration à la concorde, au sentiment réconfortant «d’avoir raison à plusieurs», de ne pas être seul, en somme, à vivre l’insécurité et la précarité de «ne pas savoir où l’on est ni ce que l’on est».
Jean François Marchi est Avocat au barreau de Paris et au barreau de Bruxelles. Il est également auteur dramatique chroniqueur.
C’est encore plus vrai dans le domaine de la politique qui résume à elle seule l’incertitude révoltante d’un avenir indéterminé. L’homme, cet improbable citoyen, s’exprime en toute liberté par le vote, en démocratie en tous cas, avec l’espoir chevillé au corps que son choix sera celui du grand nombre, ce qui le justifiera dans sa recherche de vérité révélée au sens religieux du terme. Il lui faut le nombre pour oser être lui-même, ce nombre serait-il dérisoire du moment que sa relativité lui permet le succès.
Assis du bon coté, le civis politicus, quand il parle, dira volontiers des phrases telles : « Je vous l’avais bien dit » ou encore « C’est évident », pour souligner l’avantage que lui donne in fine le fait d’avoir fait le « bon choix », pour parler comme Giscard.
L’élection présidentielle de 2022 a été remportée par Emmanuel Macron sans qu’il faille en disconvenir. Sa victoire est nette et tranchée. Un corps électoral de 48 752 500 inscrits. Un nombre de suffrages exprimés de 35 096 391, soit une abstention de 28,01%.
Emmanuel Macron recueille près de 19 000 000 voix soit 54% des suffrages exprimés y compris les nuls et les blancs. C’est sans appel.
Le vote pour Emmanuel Macron s’établit donc à 38% du corps électoral. Le vote pour Marine Le Pen à 27% du corps électoral, les nuls et blancs faisant quant à eux 7% du corps électoral en sus.
Si on considère ceux qui n’ont pas voulu voter pour le président sortant on découvre un pays fragmenté entre trois tiers inégaux :
- 28% d’abstention
- 38% Macron
- 34% réfractaires (Le Pen + nuls et blancs)
En partant du décompte des voix qui se sont réellement portées sur le candidat Macron au deuxième tour, soit 54% des suffrages exprimés et non pas 58%, chiffre proposé à l’inattention publique alors qu’il fait artificiellement abstraction des 7% de blancs et nuls, on aboutit à un total brut qui additionne les verts, les socialistes, les communistes, les républicains, les insoumis, les Bayroutistes et bien sûr les marcheurs macronistes en leurs nombreuses chapelles et j’en passe.
Comment savoir ce que chacun pèse vraiment, c’est la clef du résultat des prochaines législatives. Si l’on apprécie les 19 000 000 suffrages au vu des 48 752 500 électeurs inscrits, ça ne fait plus que 39% des électeurs pour tous les partis, les macronistes, la gauche, la droite dite « républicaine » et les insoumis réunis, soit grosso modo la future majorité et la future opposition, à l’exception du Rassemblement national et de Reconquête !.
Comme il est inenvisageable que puissent gouverner ensemble MM Bayrou et Mélenchon par exemple, tant de choses les opposant, à commencer par la conception même de l’Etat, il faut postuler soit que l’une des formations politiques énoncées aura à elle seule la majorité, grâce à l’effet accélérateur du scrutin majoritaire à deux tours, soit que des alliances de gouvernement pourront se nouer entre elles. Mais on part de beaucoup plus bas que les précédentes élections : les partis en cause tous confondus font moins que 39% du corps électoral ! Et il y aura encore de l’abstention ! Plus, moins, on ne sait pas.
Des 39% exprimés pour le président sortant, on peut raisonnablement déduire qu’un bon tiers peut lui être attribué, les deux autres plus faibles se répartissant entre la gauche désunie, LR et les verts d’une part et le dernier tiers aux insoumis de Mélenchon, soit 13% pour chacun des groupes à la virgule près. Macron tout nu pèse 13 à 15%, c’est très peu. L’effet amplificateur du scrutin final fera la différence. Voilà la teneur de la gageure.
Le retour de l’agitation des rues avec les inévitables black blocs qui viennent chercher l’affrontement castagneux, colore d’une manière désagréable mais véridique la réalité politique de la société.
Sur un fonds de haine sociale qui déborde toute forme d’expression, la reconduction de celui qui passe pour le représentant de la finance n’est pas sans poser le problème de sa légitimité. Avec un vote qui a totalisé 13% des inscrits, c’est peu, c’est à dire un tiers des suffrages exprimés en sa faveur, les deux autres tiers pouvant être raisonnablement attribués à Mélenchon qui avait appelé à faire barrage à Marine le Pen d’une part, le conglomérat additionnel des verts, LR, socialistes et communistes pour le dernier tiers d’autre part (13% x3 = 39%).
C’est dur de peser peu. Pendant ce temps, la rue s’agite et le diable se profile. C’est le moment qu’a choisi Gallimard, venant aux droits de Denoël, son éditeur historique, pour publier le manuscrit retrouvé de Céline, intitulé fort à propos Guerre.
A lire bien sûr, pour comprendre ce qui se passe.
Tout se jouera aux élections législatives, et peut-être même la guerre justement.
La cacophonie s’installe avec les refus de Hollande, Castaner, le Foll et quelques autres, d’entériner l’accord Mélechon-PS.
De toutes façons la cacophonie est déjà dans le programme des “insoumis” qui vogue sur l’islamo-gauchisme en oubliant les martiales proclamations laïcardes d’antan de son chef aux couleurs bariolées d’opportunisme. “Paris vaut bien une messe” avait déjà dit le bon roi Henri IV. Donc Paris vaut tous les lieux de culte que l’on peut imaginer, Ô Clemenceau!
Le dilemme qui se pose au président est de savoir s’il compte mener la politique étrangère du pays comme l’avaient fait magistralement Jacques Chirac avec Dominique de Villepin pendant la guerre d’Irak ou Georges Pompidou avec Michel Jobert au moment de la guerre du Kippour, ou s’il va se laisser entraîner à suivre le fil défini par l’axe non-dit Washington-Berlin qui remplace presque à l’identique l’ancien tandem Washington-Bonn de l’époque Kissinger-Willy Brant. Le voilà le danger. Il y va de la crédibilité de la France comme puissance nucléaire indépendante.
En 1973 Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères avait déjoué avec subtilité et tact le piège répétitif de l’alignement atlantique que poursuivait la diplomatie américaine menée par Henry Kissinger. C’est toujours le même débat depuis le début de la Ve République où, sous couvert d’Europe, on ressert avec obstination sous d’autres couleurs la proposition illusoire de la communauté européenne de défense (CED). Le débat sera là à n’en pas douter, la France veut-elle d’un retour de Jean Lecanuet à la direction de ses affaires ou préfère-t-elle garder en main la maîtrise de son destin ?
Si on se rappelle les débuts de la Ve République, le général de Gaulle dut reprendre en main un pays dévasté dans ses fondements et sa confiance en lui-même par la perte de son empire colonial et le camouflet de l’affaire de Suez. Qu’elle perde ou qu’elle gagne les guerres, la France jusqu’alors, même avec son roi prisonnier, n’avait jamais connu le déshonneur d’être obligée d’obéir à un protecteur (Tout est perdu ma mie, fors l’honneur).
Devant l’affront subi par la IVe République, le Général élabora le concept de défense «tous azimuts» et engagea le pays dans la construction d’une force stratégique nucléaire, avec à la clef la définition d’un concept nommé «principe de la défense du faible au fort». L’idée en était simple en son énonciation, plus subtile évidemment à mettre en œuvre : dotée de moyens de destruction massive, susceptibles d’occasionner des dommages considérables à l’adversaire quel qu’il soit, la France ne serait jamais attaquée par plus fort qu’elle devant la certitude qu’aurait celui-ci d’en payer un prix exorbitant et en tout cas hors de proportion avec le gain espéré, le bout de la logique étant en filigrane la quasi-certitude d’encourir un risque d’anéantissement mutuel. Le Général était crédible en proposant ce pari.
A mon sens, la perte de son empire et la dénatalité qui l’affecte conduit la Russie d’aujourd’hui à adopter cette logique. Je ne gloserai pas sur le point de savoir si l’Ukraine est pour les russes ce qu’était l’Algérie pour les français de 1960, ni si les massacres pour scandaleux et justement dénonçables qu’ils soient sont moralement comparables dans l’un et l’autre cas, ce n’est pas le débat du jour.
Les forces à l’œuvre dans le monde aujourd’hui visent à ce que l’Europe perde ses empires, l’un après l’autre. Le mouvement a commencé au Mexique en 1867, et tout le monde y a participé, car si la doctrine de Monroe chère à l’Amérique a chassé les Français du Mexique, la France quant à elle a fait perdre l’Italie à l’Autriche-Hongrie et la Crimée à la Russie à la même époque. La Russie fait partie de l’Europe, et c’est son tour on le voit.
Il faut faire attention à ce que dit M. Lavrov, Il n’est pas moins crédible dans ses avertissements que M. Couve de Murville, ministre des Affaires Etrangères du général De Gaulle à l’époque de la crise de Cuba où la France s’était rangée, sans lien de subordination aucun, aux côtés de l’Amérique. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que la doctrine du faible au fort soit utilisée aujourd’hui par la Russie.
De même, avoir fait disparaître le Corps diplomatique français d’un trait de plume entre les deux tours de l’élection ne laisse pas supposer que la France veuille encore avoir une politique étrangère. Adieu Talleyrand, si traître qu’il pût être parfois à l’Empereur Napoléon, il incarna cependant le rayonnement international de la France, souci dont aujourd’hui la perte se ressent avec cruauté ! Il serait à souhaiter qu’aucune majorité ne vienne seconder d’aussi funestes desseins, si par malheur il venait à quiconque le désir de les tramer, comme d’abandonner le siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est pourquoi le vote le plus important sera celui des législatives en juin prochain.
Jean-François Marchi
«Copinage», «népotisme» : la disparition du corps diplomatique déclenche un tollé dans l’opposition
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