L’hôtel de Brienne et le quai d’Orsay auraient rejeté la demande de déclassification des documents liés au contrat Rafale en Inde. Les avocats de l’ONG Sherpa dénoncent une instrumentalisation du secret défense.
Nouvel épisode dans la saga des «Rafale Papers» de Mediapart. Ce 14 septembre, le média français d’investigation a ajouté un volet à son enquête-fleuve sur les coulisses de la vente de 36 Rafale en l’Inde en septembre 2016. Un méga-contrat, signé sous le mandat de François Hollande, qui s’élève à pas moins de 7,8 milliards d’euros.
Selon Mediapart, les deux juges d’instruction chargés de l’enquête auraient reçu en juin une fin de non-recevoir de la part des autorités françaises, à la suite de leur demande auprès des ministères des Armées et des Affaires étrangères de déclassification des documents liés aux négociations. Refus lui-même motivé par deux avis défavorables, de la Commission du secret de la Défense nationale (CSDN), à la déclassification de ces documents.
Un refus «difficilement compréhensible sur le fond», estime le média, qui «ressemble à une nouvelle tentative de freiner l’enquête sur cette affaire d’Etat, susceptible d’impliquer François Hollande, son successeur Emmanuel Macron […] ainsi que leur ancien ministre Jean-Yves Le Drian» poursuit-il.
Pour les avocats de Sherpa, ONG anticorruption qui depuis l’automne 2018 mène la charge judiciaire contre le gouvernement français, le secret-défense serait ainsi «instrumentalisé». «Le secret-défense sert de nouveau d’habillage pour protéger des intérêts personnels et assurer l’impunité des plus grands responsables publics ou privés unis dans un même entre-soi frauduleux» fulminent auprès de Mediapart les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth.
Le secret-défense «instrumentalisé», selon les plaignants
C’est à la suite des révélations de Mediapart, fin septembre 2018, que Sherpa s’est penché sur ce juteux contrat signé entre Paris et New Delhi. Des révélations, ou plus exactement des confidences de François Hollande. Contacté par la rédaction d’Edwy Plenel, l’ex-président confirme alors qu’une coproduction de sa compagne Julie Gayet a bien reçu des financements d’un certain Anil Ambani. Problème, ce dernier n’est autre que le PDG du groupe Reliance, partenaire indien de Dassault Aviation dans le contrat Rafale. Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres.
Ces dires abondent dans le sens de la presse indienne, qui avait révélé l’affaire quelques semaines plus tôt. Sur le plan politique, l’opposition au gouvernement Modi fustige une «escroquerie» depuis l’annonce de la signature du contrat avec Paris, notamment au regard du prix unitaire des chasseurs vendu à leur pays.
Fort des propos de l’ancien locataire de l’Elysée, l’affaire prend rapidement une tournure internationale et judiciaire. Dans la foulée de la publication de Mediapart, Sherpa adresse un signalement auprès du parquet national financier (PNF) dénonçant de possibles faits de «corruption» sur ce contrat Rafale. En juin 2019, l’affaire est classée sans suite par le procureur du PNF de l’époque: Eliane Houlette.
Dassault perquisitionné à plusieurs reprises
Voilà «enterrée», aux yeux de Mediapart, une potentielle «affaire d’État» qui éclabousse deux présidents de la République. Le média multiplie alors les enquêtes et les révélations, sur la base desquelles Sherpa dépose une nouvelle plainte fin avril 2021 auprès du tribunal judiciaire de Paris. Mi-juin de la même année, une information judiciaire pour «corruption» et «favoritisme» est ouverte par le PNF.
C’est dans le cadre de cette procédure que les juges d’instruction, Virginie Tilmont et Pascal Gastineau, ont réclamé au ministère des Armées et au ministère des Affaires étrangères les documents couverts par le secret défense… avant d’être déboutés.
L’affaire est-elle dans l’impasse ? Clairement non, à en croire Mediapart, selon qui l’enquête «s’accélère» : le média en veut pour preuve le fait que Dassault Aviation a, en février dernier, été «discrètement» perquisitionné à plusieurs reprises par les policiers de l’OCLCIFF, l’office anticorruption de la police judiciaire.
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