Le président ukrainien, dont le pays est candidat à l'UE, est revenu à la charge en réclamant une adhésion accélérée à l'OTAN. Une nouvelle illustration de la logique de blocs dans laquelle s'inscrit Kiev… bien aidée par les appétits occidentaux.
Le 30 septembre, le président ukrainien a officiellement demandé l’adhésion de son pays à l’OTAN et souhaité une procédure accélérée. Volodymyr Zelensky n’en fait pas mystère : il s’agit de sa réponse politique à la décision de Moscou qui, quelques heures plus tôt, avait proclamé le rattachement de quatre régions – celles de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia – à la Fédération de Russie.
Formellement, cette dernière serait donc fondée à considérer que toute opération militaire ukrainienne sur ces territoires est une attaque contre son propre sol. Pour Kiev, il était donc tentant de mettre en avant un argument symétrique : tout combat mené sur le territoire ukrainien par les troupes russes deviendrait ipso facto une attaque contre l’Alliance atlantique – avec l’obligation pour celle-ci d’y apporter une réponse directe.
Hypocrisies occidentales
Et donc d’entraîner militairement les Occidentaux dans une guerre ouverte avec la Russie. Ceux-ci sont, certes, déjà largement impliqués dans la fourniture massive d’armes, de matériels, de formation et de renseignements – voire de mercenaires officieux. Mais jusqu’à présent, avec une grande hypocrisie, l’OTAN et ses pays membres tenaient à affirmer qu’ils n’étaient pas eux-mêmes co-belligérants. La requête du chef de l’Etat ukrainien serait donc un pas de plus vers un scénario catastrophe pouvant déboucher sur un embrasement généralisé.
Jusqu’à présent, avec une grande hypocrisie, l’OTAN et ses pays membres tenaient à affirmer qu’ils n’étaient pas eux-mêmes co-belligérants.
Dès le 2 octobre, neuf pays membres de l’OTAN annonçaient «soutenir fermement» la demande de Kiev. Sans surprise, il s’agit essentiellement de pays d’Europe centrale (Pologne, Slovaquie, Tchéquie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Monténégro et Macédoine du Nord), la plupart connus pour leurs positions ultra-atlantistes.
La Hongrie, dirigée par Viktor Orban triomphalement réélu en avril dernier notamment sur une ligne pacifiste, ne s’est pas associée à ce soutien. Pas plus que la Bulgarie, dont le président, souvent qualifié de « pro-russe », a exprimé son désaccord avec cette fuite en avant. Il est vrai que ce pays votait le 2 octobre, le camp des électeurs se sentant proches de la Russie s’étant renforcé.
Le danger de l’engrenage immaîtrisable
Pour leur part, ni Paris ni Berlin n’ont exprimé d’empathie avec la demande d’adhésion. Bien que très engagées dans le soutien politique et militaire à Kiev, les diplomaties française et allemande n’ont pas souhaité se lancer dans un engrenage qui pourrait rapidement devenir immaîtrisable.
Les deux pays avaient déjà bataillé, lors du sommet de l’Alliance à Bucarest en avril 2008, pour tempérer les ardeurs de Washington qui soutenait une adhésion rapide de l’Ukraine. Finalement, les conclusions finales n’avaient pas fixé d’échéance ; mais elles réaffirmaient cependant le principe de ladite adhésion – une prétention qui n’avait pas échappé à Moscou. Et qui n’a pas été pour rien dans les développements ultérieurs, la Russie se convaincant que le camp atlantiste ne se connaissait pas de limite dans son avancée vers les frontières russes.
Aucune procédure “accélérée” n’est prévue par les traités de l’Alliance.
Depuis quatorze ans, la situation a évidemment considérablement évolué. Est-ce à dire que Kiev pourrait formellement rejoindre sous peu l’Alliance atlantique ? Cela semble invraisemblable. D’abord parce qu’aucune procédure « accélérée » n’est prévue par les traités de l’Alliance, diverses conditions devant être remplies. Ensuite parce qu’en principe, ceux-ci interdisent qu’un pays dont les frontières ou des fractions du territoire sont disputées puisse en l’état rejoindre l’organisation.
Enfin, toute demande d’adhésion doit être approuvée par l’unanimité des Etats membres, une condition qui est pour l’heure loin d’être remplie. La revendication lancée par monsieur Zelensky est-elle pour autant un coup d’épée dans l’eau sans importance ?
En réalité, la bascule de l’Ukraine dans le camp occidental est une question ancienne qui émoustille les géostratèges depuis l’éclatement de l’URSS en 1991. L’Union européenne, en particulier, a très vite subventionné, aidé et promu une multitude d’ONG destinées à «promouvoir une société civile» tournée vers l’Occident et ses valeurs proclamées.
Deux décennies de travail de sape occidental en Ukraine
L’enjeu était déjà là lors de la «révolution orange» de 2004. Il fut ensuite patent lors de l’insurrection de Maïdan, en 2013-2014, qui déboucha sur un renversement par la force du président élu en 2010 (dans un scrutin que nul n’a contesté), le réputé «pro-russe» Viktor Ianoukovitch.
A l’époque, la prétention de Bruxelles de signer un «accord d’association» avec l’Union européenne visant à «arrimer» l’Ukraine à l’Ouest, et le refus qu’avait finalement signifié le chef de l’Etat, avaient mis le feu aux poudres, et déclenché les affrontements entre «pro-UE» et «pro-Russes». Quant au soutien à un rapprochement avec l’OTAN, il restait alors très minoritaire, et suscitait une levée de boucliers dans une large partie du peuple, surtout dans la moitié est du pays.
Depuis 2014, les dirigeants ukrainiens successifs n’ont pourtant jamais renoncé à tenter d’intégrer le pays au sein de la «famille euro-atlantique». Au point d’inscrire la perspective otanienne dans la Constitution. Début mars de cette année cependant, Volodymyr Zelensky avait différé cette exigence pour des raisons tactiques, notamment pour se concilier Paris et Berlin. En retour de cette souplesse concédée, il s’est vu octroyer, en juin dernier, le statut officiel de candidat à l’UE. Il vient donc de revenir à la charge vis-à-vis de l’OTAN.
En réalité, les deux organisations, dont les racines plongent dans la guerre froide, sont sœurs jumelles. Elles participent de la logique de blocs et reflètent les appétits impériaux, parfois habillés des «valeurs» proclamées, parfois affirmés avec brutalité, de l’Occident.
La seule perspective pacifique et bénéfique pour l’Ukraine eût été de devenir un Etat non aligné
Pour ce dernier, l’éclatement de l’URSS a constitué une aubaine historique ouvrant la voie à des conflits qui étaient inconcevables du temps soviétique – une évidence qui vaut également pour les affrontements récents entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou bien entre le Kirghizstan et le Tadjikistan, républiques qui étaient jadis toutes constitutives d’un même pays.
Dès lors que cet éclatement était acté, la seule perspective pacifique et bénéfique pour l’Ukraine eût été de devenir un Etat non aligné et militairement neutre. Les appétits occidentaux en ont décidé autrement.
Pierre Levy
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