Chroniques

Immigration : le véritable et grand défi géopolitique de l’Europe – par Roland Lombardi

Pour Roland Lombardi, docteur en Histoire et géopolitologue, les dirigeants de l'UE devraient cesser de se focaliser sur le prétendu «danger russe» et faire plutôt face à l’un des plus graves enjeux pour le Vieux continent : l’immigration.

Dans une précédente chronique, j’écrivais ceci : «Comme le rappellent les géostratèges sérieux, non soumis à la doxa atlantiste, la Russie pouvait pourtant devenir un partenaire voire un allié précieux face aux véritables enjeux géopolitiques de l’Europe et aux défis immenses de demain en Méditerranée, la frontière la plus importante du Vieux continent, et donc en Afrique ou au Moyen-Orient. En réalité les Européens ne savent pas définir le vrai ennemi. Erreur fatale en relations internationales. Or, il y a quatre dangers géopolitiques réels et majeurs qui menacent l’Europe : la Chine, qui par son hégémonie économique prédatrice menace notre indépendance et notre souveraineté industrielle (on l’a vu avec la pandémie), les crises migratoires et l’islamisme, qui menacent de l’intérieur les cohésions des sociétés européennes, et enfin, l’idéologie progressiste et tous ses travers (acculturation, wokisme…), qui elle, accentue dangereusement le fossé entre les peuples européens et leurs élites.»

Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021).

En effet, s’agissant de l’immigration, nous ne sommes qu’au début des crises migratoires. Il faut en avoir conscience et arrêter de croire que ce ne sont que quelques dizaines de milliers d’immigrés que nous devrons accueillir. La réalité est beaucoup plus préoccupante et s’inscrit dans l’explosion démographique du continent africain. Tous les géopolitologues sérieux l’affirment.

Dans son ouvrage, Dictionnaire amoureux de la géopolitique (Plon, 2021), Hubert Védrine relate un de ses échanges très intéressant avec le célèbre géopoliticien singapourien, Kishore Mahbubani. Alors qu’il discute de l’Europe avec l’universitaire, l’ancien conseiller de François Mitterrand et ministre socialiste des Affaires étrangères de 1997 à 2002 lui demande : «Qu’est-ce qui permettra selon vous le sursaut de l’Europe ?». Mahbubani lui répond que les principales et premières conditions à ce sursaut sont «un moratoire sur les migrations et que l’Europe devienne machiavélienne» !

Védrine et Mahbubani sont pourtant loin d’être connus pour être de dangereux fascistes d’extrême droite !

Samuel P. Huntington l’avait déjà rappelé dans son Choc des civilisations en 1996 : «La démographie dicte le destin de l’Histoire, les mouvements de population en sont le moteur.»

C’est un terrible et immense défi géopolitique présent et à venir qui s’expose aux Européens.

En 1950, l’Afrique comptait 228 millions d’habitants. Aujourd’hui, elle approche des 1,5 milliard d’habitants !

Par exemple, l’Egypte avait une population de 22 millions en 1970. En 2022, elle atteint 105 millions et croît de 1,2 million chaque année. Quant à l’Ethiopie et le Nigeria, leur population, en 2022, pointe respectivement à plus de 120 et 220 millions d’habitants.

En 2050, l’Afrique devrait alors compter au total 2,4 milliards d’habitants, dont 400 millions au Nigeria, 220 en Ethiopie et 160 millions en Egypte.

Des membres de l'ONG espagnole Open Arms viennent en aide à des migrants traversant la Méditerranée, en 2017 (image d'illustration).

Des eurodéputés dénoncent le financement d’ONG qu’ils jugent complices des passeurs de migrants

La stabilité de ces Etats est fragile. Au sud de la Méditerranée et en Afrique, les violences, les crises économiques et politiques comme les crises environnementales dont on nous rabâche pourtant les oreilles à longueur de journée, risquent inévitablement de s’aggraver.

Bien entendu, au-delà des fermetures des frontières européennes, ce problème migratoire pourra principalement n’être réglé qu’en amont, c’est-à-dire dans les pays d’Afrique et du Maghreb. Il faut alors radicalement revoir nos politiques de co-développement. Les aides au développement sont encore trop souvent et massivement détournées par la corruption endémique de ces zones. Des solutions existent et fonctionnent pourtant comme la coopération décentralisée. Et pourquoi pas, ne pas envisager, comme le suggère Jean-Michel Nogueroles, le président du think tank français Nova Roma, des initiatives ambitieuses et sérieuses comme un grand plan Marshall pour l’Afrique, étroitement contrôlé et cogéré avec les pays intéressés et qui serait partiellement financé avec le support de la Banque européenne d’investissements agissant en liaison avec la Banque centrale européenne.

En attendant, et c’est une urgence, il faut cesser les demi-mesures, les tergiversations et les débats stériles sur les «quotas», la «répartition» dans chaque pays ou encore un accueil «contrôlé».

Bref, dans un contexte de crises multiples qui touchent l’Europe et au regard des problèmes socio-économiques qui ne cessent de s’accentuer, comme les tensions identitaires et communautaires, il est impératif de changer de logiciel et d’adopter, comme l’Australie en son temps, des mesures cohérentes et claires ainsi que ce message de fermeté : «Si vous tentez de venir en Europe, vous serez immédiatement renvoyés». Or une telle révolution copernicienne dans la politique migratoire européenne, qui seule pourra éviter des conflits internes futurs, n’est malheureusement pas à l’ordre du jour pour des raisons idéologiques. De plus, elle sera difficile à mettre en œuvre au niveau européen en raison des politiques divergentes entre les Etats membres de l’UE et devant le diktat de ses instances dirigées par des idéologues et des technocrates déconnectés du réel et des inquiétudes légitimes des peuples européens.

Comme le démontre de manière flagrante la dernière et piteuse affaire de l’Ocean Viking.

Alors qu’en dépit des pressions européennes, Giorgia Meloni, la nouvelle présidente du Conseil italien, issue d’une coalition des droites italiennes, a refusé, par respect de ses engagements auprès de ses électeurs (et 63% des Italiens étaient contre !), d’accueillir les clandestins du navire de l’ONG. Ces ONG qui, ainsi que le signalent les divers rapports de Frontex, orchestrent et instrumentalisent ces «sauvetages en mer», dont profitent les groupes criminels de passeurs, ces trafiquants d’êtres humains, véritables esclavagistes des temps modernes

C’est donc le gouvernement français, au mépris de son opinion publique qui refuse, elle aussi, à plus de 70% toute nouvelle immigration, qui a accepté de jouer les bons samaritains.

Ainsi, le président Macron a cédé une nouvelle fois, sous couvert d’humanisme, aux injonctions de la Commission européenne. La crainte des critiques de la minorité bien-pensante ainsi que des ONG et de leur propagande idéologique a également son rôle dans cette décision française et cette nouvelle lâcheté gouvernementale. Il est d’ailleurs étonnant de voir que sur cette question, comme le souligne justement Michel Onfray, le Medef, LFI et l’extrême gauche en général soient paradoxalement alliés. Il est vrai que le patronat et une certaine catégorie de la population bobo-progressiste française et européenne ne voient aucun mal à l’arrivée d’une main-d’œuvre malléable à merci (lorsqu’elle est encore en situation irrégulière comme dans le BTP ou la restauration) et sous-payée pour occuper des emplois dont les salaires sont ainsi tirés à la baisse. Comble de bonheur, ces nouveaux immigrés, représentant une main-d’œuvre bon marché, peuvent potentiellement agrémenter le quotidien des bourgeois des grandes villes, comme le font déjà les femmes de ménages, les livreurs ou les chauffeurs Uber… en grande partie issus de l’immigration.

Ceci étant dit, la décision française et cette politique de l’autruche encouragent les ONG à réitérer leurs actions à la limite de la légalité et créent ainsi en Afrique de nouveaux appels à l’émigration. Alors qu’avec ou sans le secours des ONG, certains pauvres bougres tentent leur chance seuls et perdent malheureusement la vie en mer. Ils sont donc aussi les premières victimes de cette politique folle de l’Union européenne qui ne veut pas prendre des mesures fermes sur cette question migratoire et contre ces ONG.

C’est également un message de grande faiblesse qui est encore lancé aux pays du sud de la Méditerranée.

Les leçons de l’Histoire…

Pourtant, l’actualité de ces dernières années a toujours démontré à travers le monde et de manière factuelle, les conséquences néfastes voire tragiques des grands mouvements de population incontrôlés. Depuis des décennies et surtout à partir de 2015, avec l’afflux massif en Allemagne de millions de réfugiés syriens et ses funestes conséquences (terrorisme, explosion de la délinquance, tensions intracommunautaires, montées des populismes…), tous les services de sécurité européens sonnent encore pourtant le signal d’alarme…

N’oublions pas que l’une des raisons de la guerre civile libanaise de 1975 est l’arrivée massive au Liban de réfugiés palestiniens…

Plus loin dans le temps, comme je le rappelle dans mon dernier ouvrage, Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Editions, 2022), il faut se souvenir aussi de la bataille d’Andrinople en 378…

En effet, la date de la chute de l’Empire romain d’Occident est communément établie en 476 ap. JC., lorsque l’armée romaine, majoritairement composée de soldats d’origine barbare, se mutine et dépose le dernier empereur, Romulus Augustule.

Or, sans entrer dans un énième débat d’historiens et les détails de l’histoire extrêmement complexe du lent déclin de Rome, nous pouvons affirmer que l’une des principales causes de l’écroulement de l’Empire trouve plutôt son origine, un siècle auparavant, vers 376, du côté d’Andrinople (aujourd’hui Edirne en Turquie), avec… une «crise migratoire» !

Car c’est une « catastrophe humanitaire » qui est à l’origine, en 378, de la bataille du nom de cette bourgade proche de la Bulgarie et la Grèce actuelles, et qui fut le plus grand désastre militaire pour les Romains. Après l’erreur fatale d’avoir accueilli, en ouvrant leur limes, des «réfugiés» goths qui finirent par se révolter alors que l’aristocratie romaine et corrompue de l’époque voulait pourtant en faire de nouveaux esclaves…

Tout ceci ne vous rappelle rien ? Certes, comparaison n’est jamais raison. Surtout en histoire. Toutefois, la géographie et l’histoire sont les mères de la géopolitique et elles nous donnent parfois des leçons que nous devrions retenir…

Roland Lombardi

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