Chroniques

Les nouveaux bigots et leurs adversaires

Gérard Maltorne, de la revue Politique Magazine, dresse un tableau du militantisme «woke» ravageant le monde intellectuel et médiatique français – et loue les figures qui, à ses yeux, ferraillent efficacement contre cette mouvance.

Il y a, en France, des Illuminés, copies fidèles et serviles des woke américains. Comme leurs modèles, ils arborent en permanence des mines soit outrées par les blasphèmes qu’ils entendent dans les moindres phrases, soit bouleversées – voire ravagées – par les horreurs auxquelles ils assistent : un couple genré en train de danser, un film dont l’intégralité des personnages n’est ni racisée ni transgenre, les déclarations d’un homme qui refuse d’être accusé de viol parce qu’il a souri à une femme ou, pire, un mâle blanc non-déconstruit qui s’exprime sur n’importe quel sujet au lieu gémir sur sa culpabilité essentielle. 

Il y a, en France, des Illuminés, copies fidèles et serviles des woke américains

Comme l’époque n’est avide que d’éclats, de scandales, de «clashs» et autres écumes et vapeurs voilant les vrais problèmes, le monde médiatique relaie n’importe quel délire avec complaisance, persuadé de participer à un juste combat et se trouvant vertueux en accordant autant d’importance à quatre andouilles aspergeant un tableau en France qu’à tout un peuple luttant pour sa liberté en Iran. 

Le monde intellectuel de gauche est responsable de cette vague, depuis le professeur exposant ses théories fumeuses jusqu’au journaliste militant, depuis les autorités universitaires complices à force d’être lâches devant les intimidations, jusqu’aux étudiants partis guerroyer contre Lafarge ou, plus modestement et plus tranquillement, contre les travailleurs roulant en automobile.

Céline Pina ne se fait pas d'illusions sur la gauche pour la présidentielle de 2022 (images d'illustration).

Céline Pina : «La gauche s’est détournée de la dimension universaliste pour servir des clientèles»

Mais alors que l’Université, à force de compromissions inutiles, de décisions scandaleuses et d’injustices institutionnelles s’est transformée en agent actif du wokisme, les intellectuels résistent. Eugénie Bastié, Matthieu Bock-Côté, Jean-François Braunstein, Bérénice Levet, Nathalie Heinich, Alain Finkielkraut, Pierre Vermeren, et tant d’autres, qui partagent le même constat inquiet sur les ravages du wokisme, accueilli par les médias, écouté par les politiques, infusé chez les militants qui perdent toute retenue et se comportent, en parfaits bigots, avec la violence qu’ils dénoncent.

Ils sont inquiets mais pugnaces. Nathalie Heinich, sociologue, a écrit en 2021 Ce que le militantisme fait à la recherche, dénonçant les ravages du militantisme chez des chercheurs qui ne cherchent plus mais justifient par leurs prétendues recherches les prises de positions les plus radicales, au point que «le monde social que ces chercheurs-militants s’attachent à bâtir s’avère à bien des égards invivable, habité par la hargne et le désir insatiable de revanche.»

Pourquoi s’attarder un peu sur Heinich ? Parce que cette sociologue de gauche, dont les objets de recherche sont l’art contemporain et le féminisme, est devenue la bête noire des Illuminés qui ne voient en elle que d’immondes phobies et s’acharnent à la réduire au silence, allant jusqu’à hurler pendant ses conférences – quand elle réussit à les tenir. Nathalie Heinich participe donc à l’Observatoire du décolonialisme, émanation du laboratoire d’analyse des idéologies contemporaines (LAIC), qui traque avec science, talent et détermination tous les islamo-gauchistes et autres écologistes intersectionnels qui considèrent que le nucléaire est patriarcal.

Cela fait-il de Nathalie Heinich une intellectuelle de droite ? Aux yeux de l’ultra-gauche, de l’extrême-gauche et de la gauche médiocre, oui. Car il suffit de remettre en cause l’un des dogmes de la nouvelle religion pour immédiatement être considéré comme païen, relapse, impie et schismatique. Qu’importe les convictions affirmées, l’œuvre accomplie, les discours, mêmes, seul compte le ressenti des vigilants, auto-institués savants et docteurs en toutes choses.

Sylviane Agacinsky, féministe de gauche, le sait bien : la femme de Lionel Jospin, opposée à la GPA et la PMA, est accusée d’être réactionnaire et homophobe. Elisabeth Badinter, féministe de gauche favorable, elle, à la PMA et la GPA (et à l’euthanasie, pour faire bon poids), est pareillement traitée de réactionnaire puisqu’elle ne veut pas considérer l’islam et ses voiles comme l’expression de la liberté.

Il suffit de remettre en cause l’un des dogmes de la nouvelle religion pour immédiatement être considéré comme païen, relapse, impie et schismatique

On ne défendra pas pour autant Badinter, dont les opinions hémiplégiques célèbrent d’un côté tout ce qui concourt à détruire ce qu’elles défendent de l’autre. Et on remarquera que les Onfray et Agacinsky, formés à gauche, ayant fait carrière à gauche, bénéficient d’une audience et d’un respect médiatiques résiduels bien supérieurs aux militants et aux penseurs venus de la droite, comme Gabrielle Cluzel ou Aude Mirkovic, pour ce qui est des femmes, ou Laurent Dandrieu, pour la partie mâle. Eux sont rarement invités, ne publient pas chez Gallimard, ne sont sollicités pour aucune pétition et servent en permanence de repoussoir sur les chaînes publiques et d’épouvantail aux intellectuels corrects.

Cela ne les décourage pas et, même, ils semblent galvanisés par l’adversité : ne refusant jamais un débat, acceptant d’aller sur des médias «sulfureux», c’est-à-dire libres, comme Valeurs Actuelles ou Radio Courtoisie, animant les colonnes du Vox, espace heureusement ouvert au Figaro pour faire entendre au grand public des voix différentes, ils ont réussi à déplacer la fenêtre d’Overton du politiquement dicible et du socialement correct.

Leurs combats sont loin d’être gagnés et on peut même constater, à chaque loi votée et à chaque décision gouvernementale, à quel point ils peuvent paraître désespérés. Mais justement. Pas un de ces lutteurs ne désespère, exaspérant le camp du Bien, qui ne rêve que de les interdire puisque le peuple finit par les entendre.

Gérard Maltorne

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