Chroniques

Au-delà de l’Ukraine : comment les habitants s’unissent pour reconstruire la nouvelle République russe de Lougansk

La journaliste américaine Fiorella Isabel s'est rendue en République populaire de Lougansk, dans le Donbass, au cœur du conflit depuis plus d’une décennie. Compte-rendu.

Cet article a été initialement publié sur RT International par la journaliste Fiorella Isabel, journaliste, correspondante de RT et animatrice de son propre talk-show The Convo Couch.

Au milieu de bâtiments détruits, d’habitations réduites en ruines, de rues abandonnées et de signes évidents de bombardements et de combats récents, les habitants de la République populaire de Lougansk (RPL) essaient de reconstruire leurs villes et d’aller de l’avant, deux ans après le début de l’opération militaire russe.

Voilà ce que j’ai vu lors de mon dernier voyage dans la République populaire de Lougansk et dans ses villes, plongées dans une lutte pour la survie. Malgré les avancées importantes de la Russie et la libération d’Avdeïevka, la reconstruction est une tâche ardue, surtout face à la menace constante d’une nouvelle avancée de l’Ukraine et de l’OTAN.

Militaires russes (image d'illustration).

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Depuis le début de l’opération russe, la RPL a rarement été au centre de l’attention, même si elle s’est retrouvée au premier plan après le coup d’État de Maïdan en 2014, lorsque les habitants de la région se sont battus contre le nouveau régime à Kiev. Ses villes ont été parmi les premières à échapper au contrôle de l’Ukraine, tout en subissant de nombreuses pertes civiles, y compris des journalistes qui ne faisaient que documenter l’évacuation des habitants de localités telles que la petite ville de Métallist. Il y a maintenant un monument dédié à deux reporters qui y sont morts en 2014, alors qu’ils faisaient leur travail au milieu des combats.

Le dirigeant de la République populaire de Lougansk, Léonid Passetchnik, a répondu à nos questions, notamment sur la reconstruction. Il a remercié le président russe et le gouvernement fédéral pour leur soutien et a précisé que d’autres régions apportaient également une aide considérable à la restauration et à l’amélioration des infrastructures.

La menace des bombardements pèse toujours sur la population

Toutefois, les travaux de reconstruction, si près de la ligne de front, sont lents et pénibles, et la crainte des bombardements pèse toujours sur la population qui doit littéralement recoller les morceaux et se réunir en tant que communauté, déterminée à réussir. En dépit du danger, la vie continue pour les habitants de la région qui parviennent à faire des progrès et à reconstruire.

L’un des hôpitaux que nous avons visités dans la ville de Krasnodon, à la limite est de la république, était relativement nouveau et doté des équipements médicaux les plus sophistiqués, disponibles gratuitement pour le traitement des habitants de la région. C’était surprenant pour beaucoup, et surtout pour moi, compte tenu du coût astronomique des services de santé dans mon pays natal, les États-Unis, où beaucoup préfèrent souffrir et éviter d’aller chez le médecin plutôt que de s’endetter.

D’après notre guide, des soldats blessés dans le conflit sont rarement admis à l’hôpital de Krasnodon, car la région est actuellement calme. Nous avons également visité un autre hôpital en cours de construction à proximité.

Le maire de Krasnodon nous a accompagnés pendant la visite et nous a renseignés sur la reconstruction et l’histoire de la région. Krasnodon est une ville au riche passé, remontant à la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, elle était le siège de la « Jeune Garde », mouvement clandestin soviétique qui combattait les nazis dans les territoires occupés. Le mémorial et le musée en leur honneur sont des symboles importants de la ville.

Nous avons pu voir clairement comment la communauté s’adapte pour se focaliser sur la santé physique et les enfants. Nous avons eu la chance de visiter un centre sportif destiné aux enfants comprenant une salle de boxe, des terrains de basket-ball, une salle de ballet pour les filles et une piscine de 25 mètres, qui sont tous accessibles gratuitement. Le théâtre national était également en cours de construction mais déjà fonctionnel, contribuant à la renaissance de la vie culturelle de la communauté et à l’apaisement des tensions dues à la guerre toute proche.

À l’ouest de la RPL, dans la ville de Sévérodonetsk, nous avons été témoins de l’un des éléments les plus impressionnants de tout voyage dans le Donbass : les conséquences de l’utilisation des armes produites par l’OTAN contre les civils et les infrastructures civiles. Des bâtiments en ruines, des rues abandonnées avec des marchés, des restaurants et des cafés vacants : tout autant de signes d’une autre vie. Une vie qui était très active ici il n’y a pas si longtemps.

De temps en temps, nous avons vu des gens se promener dans les rues, et leur nombre devrait augmenter à mesure que la reconstruction se poursuit dans les zones libérées. Pourtant, les habitants à qui nous avons eu l’occasion de parler ont indiqué que la vie n’était pas facile, car de nombreuses personnes vivent toujours dans des bâtiments résidentiels qui ont subi des tirs. Près d’un complexe résidentiel, nous avons vu un char endommagé, toujours bloqué à la suite des combats qui y avaient eu lieu. Des habitants restent même dans des bâtiments presque détruits, refusant de quitter leurs maisons, surtout maintenant que la guerre s’est éloignée et qu’il y a une chance de renaissance.  

La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova (image d'illustration).

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Nous avons aussi pu voir des armes de l’OTAN capturées, notamment des lance-missiles Javelin ainsi que des fragments de HIMARS, de missiles SCALP et de missiles guidés anti-char britanniques.

Il y a également eu une conférence avec d’anciens soldats ukrainiens qui ont changé de camp pour combattre avec l’armée russe dans la RPL. La question la plus évidente était de savoir pourquoi ils l’ont fait. Les réponses variaient mais tous ont expliqué qu’ils étaient d’origine ethnique russe, qu’ils parlaient russe et avaient de la famille en Russie ou près de Lougansk. Certains ont affirmé qu’ils avaient été très mal traités pendant qu’ils combattaient pour l’Ukraine parce qu’ils étaient russes, et qu’ils avaient été persécutés par leurs camarades.

Le plus âgé d’entre eux, originaire de Donetsk, était adjudant-chef et avait été fait prisonnier à Marioupol. Il a déclaré qu’il n’avait pas rejoint le camp russe en 2014 parce que sa famille se trouvait à l’époque dans des régions sous contrôle de l’Ukraine. Mais il a décidé de changer de camp après avoir être témoin d’assassinats ciblés de civils à Marioupol par l’armée ukrainienne, et après son expérience à l’usine Azovstal, la tristement célèbre forteresse ukrainienne capturée ensuite par la Russie.

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Un autre homme d’une trentaine d’années a expliqué qu’il avait rejoint l’armée ukrainienne en 2018 alors qu’il n’avait ni emploi ni formation et qu’il considérait donc l’armée comme sa seule chance. Il a été envoyé à Marioupol et s’est retrouvé dans un bataillon avec des soldats néonazis d’Azov jusqu’en 2019. Il a vu des hommes rendre hommage à Adolf Hitler et au collaborateur nazi ukrainien de la Seconde Guerre mondiale, Stepan Bandera, jouer de la musique nazie et faire des saluts nazis. Il a également déclaré que lui et un autre soldat avaient subi de nombreuses insultes en raison de leur origine russe, et qu’ils voulaient partir. Ils ont décidé de se rendre aux Russes quand ils ont vu des Ukrainiens tirer sur des civils depuis Marioupol.

Ces soldats affirment également ne pas avoir vu de mercenaires étrangers, bien que l’un d’entre eux ait mentionné avoir vu des étrangers aider les Ukrainiens en dehors des combats. Quand nous avons interrogé les six soldats sur la révolution de Maïdan de 2014, ils ont répondu qu’ils comprenaient que c’était à ce moment-là que le conflit avait commencé mais qu’ils ne pouvaient pas à l’époque séparer les faits de la propagande. Ce qui les a finalement poussés à combattre pour la Russie, selon eux, c’était leur propre expérience dans les rangs de l’armée ukrainienne ainsi que la conviction partagée que leur pays et leurs familles n’avaient aucun avenir sans la Russie.

Ce qui est remarquable à propos de Lougansk, et en fait de toute la région du Donbass, est le fait que les cataclysmes majeurs que la région a traversés, de la lutte de l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale à la révolution de Maïdan de 2014 et à l’opération militaire de 2022, sont liés aux mêmes problèmes : la lutte contre des forces de nature fasciste. À présent, ils sont vilipendés par une grande partie de l’Occident parce qu’ils poursuivent cette lutte.

Leur expérience témoigne d’une bonne compréhension et d’une maîtrise de l’histoire qui semble absente en Occident, surtout aux États-Unis. Cela s’étend à la manière dont les communautés s’apprécient et s’entraident. Nous avons vu les progrès considérables à Marioupol, mais même dans des régions comme Sévérodonetsk et dans la République populaire de Lougansk, nous pouvons observer la rapidité avec laquelle les gens confrontés à des circonstances difficiles font preuve d’une grande détermination.

Parmi ces gens, Iouri Mézinov, originaire de Rostov-sur-le-Don, a été l’un des premiers à prêter main forte en 2014 à la suite de la révolution de Maïdan. Iouri a établi une liste de contacts dans le Donbass pour fournir une aide humanitaire, notamment la livraison de nourriture, de fournitures et d’aide à ceux qui en avaient besoin, y compris les animaux domestiques, et surtout les enfants.

Il est également allé au-delà de l’acheminement de l’aide : il a aidé à rétablir l’approvisionnement en électricité, à reconstruire des maisons et d’autres constructions ainsi qu’à organiser des spectacles et des activités pour les jeunes enfants. Pour tout cela, nous a dit Iouri, il a été pris pour cible par l’Ukraine et mis dans des situations très dangereuses. Néanmoins, il est déterminé à continuer à aider. Nous avons eu l’occasion de l’accompagner pendant qu’il livrait des fournitures aux gens, ce qui a nécessité un vrai travail d’équipe.

Reconstruire est un enjeu pendant le conflit

En parlant de la guerre, il est essentiel de ne pas oublier que la lutte ne se déroule pas uniquement sur le champ de bataille mais également au niveau de la reconstruction des communautés, en faisant de leurs décombres une société qui puisse à nouveau fonctionner. Peu après notre départ de Lougansk, l’armée ukrainienne a bombardé une boulangerie et tué plusieurs civils. Les attaques de ce type ont commencé bien avant février 2022, et les habitants du Donbass – tant à Lougansk qu’à Donetsk ou ailleurs – continuent de vivre chaque jour avec l’écho incessant des explosions et l’incertitude. Cependant, pour l’instant du moins, la lumière de la victoire et la chaleur de la communauté ont commencé à rayonner dans de nombreuses villes, leur donnant la chance de retourner à la normale et de retrouver le calme au milieu d’une crise désormais mondiale.

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