Enseignante et auteur, Nesrine Briki analyse l'infiltration dans presque toutes les sphères éducatives et culturelles de l'idéologie «woke», pour l'heure principalement visible et bruyante dans les milieux universitaires et autres tissus associatifs.
Klaus Kinzler, un professeur officiant à Science Po Grenoble, vient d’être suspendu de ses fonctions après des accusations d’islamophobie.
Quelques jours auparavant, un article paru dans Le Figaro projetait la lumière sur les dérives progressistes ayant cours à l’université Science Po Grenoble. Très bien documentée, l’enquête démontrait comment une poignée d’étudiants, militants et très politisés, était parvenue à noyauter une institution d’une telle envergure, à imposer aussi facilement une idéologie importée d’Outre-Atlantique, et à faire régner un «climat de peur» au sein de l’établissement, selon les propres paroles de l’Inspection générale de l’Education nationale.
Le wokisme est à nos portes et «colonise» déjà nos esprits
Enseignante de littérature dans le second degré, Nesrine Briki est également auteur jeunesse, journaliste et traductrice littéraire.
Si le récit de ces incidents représente l’un des exemples les plus édifiants et des plus instructifs en matière de wokisme en France, un peu comme notre «Evergreen» à nous — l’université américaine devenue la Mecque du wokisme —, il n’en demeure pas moins que cela représente une infime partie de la question, celle qui émerge à peine de l’immense iceberg.
En effet, l’influence, pour ne pas dire l’emprise de la pensée woke fermente depuis un moment. Celle-ci ne se cantonne plus aux milieux universitaires ou militants, mais enfle, déborde et se déverse un peu partout ; aucune sphère éducative ou culturelle n’est épargnée. Tout le monde ou presque, fredonne déjà la mélodie de la justice sociale, et gare à celui qui ne serait pas dans le ton.
Les anecdotes, mi-hilarantes, mi-affligeantes, des campus américains se rapprochent de plus en plus de nous. Ce qui auparavant nous semblait une clameur diffuse devient tangible et prend peu à peu corps dans notre réalité bien française, notamment à travers l’apparition quasi soudaine de néologismes, tous intimement corrélés à la dimension progressiste.
Ces éléments de langage ne sont pas anodins, bien au contraire, ils sont ultra puissants puisqu’ils charrient dans leur sillage tout un système de pensée, l’emploi de termes tels que «racisés», «décoloniser», «déconstruire», «mansplaining», ou encore des expressions comme «appropriation culturelle» ou «cancel culture», s’inscrivent et s’ancrent chaque jour davantage dans le champ de notre conception lexicale.
Par ailleurs, il serait naïf de croire que le langage se résumerait à un simple outil de communication, il est bien plus que cela ; celui-ci est non seulement le reflet des changements sociétaux et des évolutions opérant dans les mentalités, mais aussi un impitoyable champ de bataille idéologique.
Ainsi, ces néologismes traduisent l’avènement d’un paradigme nouveau, celui où la «culture woke» s’impose, domine et terrorise.
Au printemps 2021, un rapport du groupe de réflexion l’Observatoire du décolonialisme tirait la sonnette d’alarme, et mettait en garde contre l’expansion fulgurante de cette idéologie dans les universités françaises.
Blanquer s’en va-t-en guerre !
En réalité, ces concepts prennent tant d’espace, progressent si bien, et s’infiltrent à une vitesse telle que, quelques mois après ledit rapport, le ministre de l’Education nationale en personne, monsieur Michel Blanquer, dut prendre des mesures significatives contre ce qu’il avait qualifié de «dangereux nouvel obscurantisme», ou encore de «totalitarisme» d’un tout nouveau genre.
Pour le ministre, l’idéologie woke constituerait une «menace pour la République», celle-ci viendrait «saper la démocratie et la République», tout en distillant une «pensée de la fragmentation».
En ce sens, la définition qu’il en donne est très pertinente ; «c’est finalement une pensée qui cherche d’abord et avant tout à définir les gens par leur identité supposée», avait-il déclaré, avant de parallèlement rappeler les valeurs universelles qui «font la beauté du projet républicain français», c’est-à-dire le fait que «tous les hommes naissent libres et égaux en droits».
Aussi, le 13 octobre de cette année, le ministre annonçait la création du «Laboratoire de la République», un cercle de réflexion axé sur la dénonciation des dérives progressistes.
Quelques jours plus tard, dans une tribune cosignée avec Jean-François Roberge, son homologue québécois, le ministre français montait publiquement au créneau pour réaffirmer sa volonté de lutter contre «l’obscurantisme woke», notamment contre la «culture de l’annulation» sévissant dans le monde occidental.
Rappelons que ce n’était pas la première initiative entreprise dans ce sens. Un peu plus tôt, en mai 2021, dans une circulaire publiée au Bulletin officiel, le ministre s’était déjà prononcé contre l’écriture inclusive, prenant la courageuse initiative d’en proscrire officiellement l’usage, arguant que sa «complexité» et son «instabilité» constitueraient des «obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture», que celle-ci modifiait «le respect des règles d’accord usuelles attendues dans le cadre des programmes d’enseignement».
Aussitôt l’annonce faite, certains syndicats d’enseignants, dont Sud éducation, avaient poussé des cris d’orfraies, exigeant du ministre «qu’il cesse d’essayer d’imposer son passéisme à la communauté éducative». Dans un communiqué publié quelques heures après la décision, le syndicat Sud exhortait les personnels «à ne tenir aucun compte de ces instructions d’un autre temps, et à exercer comme ils le souhaitent en fonction des situations professionnelles le plein usage de leur liberté pédagogique».
Ecritur.e. inclusiv.e. , cheval de Troie d’une hégémonie prosélyte
Si vous vous demandez quelle est cette écriture inclusive qui déchaîne tant de passions, sachez qu’il s’agit de cette pratique scripturale qui consiste à mettre des points médians à la fin des mots. Et une fois n’est pas coutume, il ne s’agit pas d’une pratique importée d’Outre-Atlantique, mais bel et bien d’une spécialité franco-française : cocorico !
La raison d’être de ce point est bien entendu le combat contre le sexisme lexical, car la langue, dont les règles furent instaurées par des hommes blancs cis-genre, peut aussi être un vecteur d’oppression, notamment à travers l’utilisation du masculin générique, le fameux «le masculin l’emporte sur le féminin», règle qui «invisibilise» (néologisme signifiant rendre un groupe invisible, en le soustrayant à l’espace public ou médiatique) et infériorise les femmes et autres «minorités sexuelles».
Cette étrange pratique peut s’apparenter à une certaine forme de militantisme grammatical : afficher ce point à la fin des mots, c’est faire partie d’une élite vertueuse, concernée par la justice et l’équité.
Mais aussi inclusive soit-elle, celle-ci est souvent pointée du doigt et accusée par certains de perturber l’apprentissage. En 2017, un communiqué publié par la Fédération des aveugles de France dénonçait déjà son usage : «Pour nous, personnes aveugles, cette soi-disant langue inclusive est proprement indéchiffrable par nos lecteurs d’écrans», pouvait-on alors lire. Novembre de la même année, Edouard Philippe, alors Premier ministre, fait paraître une circulaire à l’attention de ses ministres. La consigne est claire : l’écriture inclusive sera bannie des textes destinés à être publiés au Journal officiel, cela pour «des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme».
Les déclarations ministérielles successives semblent avoir très peu de prise dans le réel, puisque cette pratique non seulement ne cesse de prendre de l’ampleur, mais risque de devenir la nouvelle norme.
Toutes les dérives et situations ubuesques qui se produisent Outre-Atlantique nous font peut-être sourire ou frémir, mais elles sont avant tout un avertissement pour le Vieux Continent : la graine du wokisme a déjà germé, celle-ci ne cesse de croître, elle ne demande qu’à s’épanouir avec éclat, à prendre racine en profondeur, et pourquoi s’en priverait-elle puisqu’elle a la chance de se développer dans un terreau si fertile ?
Nesrine Briki
Interdit d’interdire – Qu’est-ce qui se cache derrière le «wokisme» ?
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