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Cachez-moi ces armes que je ne saurais voir tirer: quand nos tartuffes livrent des armes à l’Ukraine

Selon Karine Bechet-Golovko, l'hypocrisie de l'Occident atteint des sommets avec les livraisons d'armes. «Il pense la victoire… sans regarder la bataille», écrit-elle. Analyse.

Plein de désirs et ne brillant pas par leur courage, nos dirigeants atlantistes semblent nous rejouer Tartuffe en Ukraine.

«Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées.» Comment ne pas penser à ces extraordinaires lignes de Molière en écoutant les déclarations des responsables politiques accompagnant les livraisons d’armes en Ukraine ?

Le candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis, Robert F. Kennedy Jr., le 25 juillet 2023 à New York (photo d’illustration).

«Un désastre pour l’Ukraine et l’humanité» : Kennedy Jr. critique la fourniture de F-16 à Kiev

Les armes à sous-munitions sont interdites par le droit international humanitaire depuis l’adoption d’une convention en 2008, puisque, je cite cette convention, «les restes d’armes à sous-munitions tuent ou mutilent des civils, y compris des femmes et des enfants, entravent le développement économique et social, y compris par la perte des moyens de subsistance, font obstacle à la réhabilitation et la reconstruction post-conflit, retardent ou empêchent le retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, peuvent avoir des conséquences néfastes sur les efforts nationaux et internationaux dans les domaines de l’établissement de la paix et de l’assistance humanitaire et ont d’autres conséquences graves pouvant persister pendant de nombreuses années après l’utilisation de ces armes».

Certes, les États-Unis, tout comme l’Ukraine ou la Russie ne l’ont pas ratifiée. Elle ne leur est donc pas opposable. Mais si la Russie se refuse, pour des raisons humanitaires justement, à utiliser ces armes, qui font plus de victimes civiles qu’elles n’apportent d’avantage militaire, le président Biden s’est décidé début juillet à largement en approvisionner l’Ukraine.

Garanties médiatiques

Juridiquement, rien ne les en empêche. Les États-Unis sont un pays souverain, qui est libre de prendre cette décision. Et comme toute liberté s’accompagne de responsabilité, ils sont également responsables des conséquences de cette décision. C’est justement cette parité inévitable que nos tartuffes en guerre veulent éviter. Ainsi, cherchant préventivement à se couvrir face aux inévitables victimes civiles, l’on peut lire dans les médias, pour rassurer l’opinion publique : «Le responsable a encore assuré que les Ukrainiens avaient fourni des garanties par écrit sur l’usage qu’ils feraient de ces armes pour minimiser les risques posés aux civils.» De quelles garanties s’agit-il ? Manifestement, de garanties médiatiques, car l’on entend très peu parler dans les médias occidentaux des victimes civiles dans le Donbass dues à l’utilisation par l’armée atlantico-ukrainienne des obus à fragmentation.

Dès le début du mois d’août, Denis Pouchiline, le dirigeant de la République populaire de Donetsk, a annoncé l’augmentation du nombre de victimes civiles suite à l’utilisation des armes à sous-munitions. Et depuis, Donetsk est régulièrement ciblé par ces bombes, de manière massive : «L’ennemi frappe les civils comme s’il s’agissait de l’infanterie. Il s’agit d’un meurtre de masse ordinaire contre des gens ordinaires», peut-on lire chez les correspondants de guerre russe.

Char français AMX-10 RC.

Les blindés occidentaux saisis par l’armée russe en Ukraine exposés à Moscou

Quelles sont ces «garanties», censées laver les États-Unis de leur responsabilité ? Politiquement, ils fournissent les armes, ils garantissent les victimes. Pour éviter les victimes, il suffit de ne pas fournir d’armes. Et rappelons que la responsabilité reste entière pour crimes de guerre, lorsqu’il s’agit, comme ici, de cibles civiles.

De la même manière, la livraison des F-16 américains par des pays tiers fait peur à ces élites locales, coincées entre leurs obligations coloniales envers leur suzerain de fournir ces avions à l’Ukraine et la peur quasiment charnelle de se retrouver impliqués à l’insu de leur plein gré dans ce conflit contre la Russie. Ainsi, le ministre danois de la Défense de déclarer, sans même sourciller, que ces avions, comme le reste, ne pourront être utilisés que sur le territoire ukrainien : «Nous donnons des armes à condition qu’elles soient utilisées pour chasser l’ennemi du territoire ukrainien. Et pas plus loin», a déclaré le 21 août Ellemann-Jensen, ajoutant «Telles sont les conditions, qu’il s’agisse de chars, d’avions de combat ou autre chose.»

Quel est le «territoire ukrainien» selon l’Occident ?

Et ainsi, le Danemark veut se convaincre et protéger sa bonne conscience, autant qu’éviter une confrontation directe avec la Russie. Mais quel est ce «territoire ukrainien» ? C’est une réalité géopolitiquement très variable, puisque l’Ukraine a perdu son étaticité en 2004 avec la Révolution orange, devenant depuis une zone de combat. Du point de vue occidental, le territoire ukrainien comprend la Crimée et les nouveaux territoires… qui du point de vue russe sont entrés dans la Fédération de Russie et inscrits dans la Constitution. Si ces armes sont utilisées sur ces territoires contre les civils et contre l’armée russe par l’armée atlantico-ukrainienne, alors il peut s’agir pour la Russie d’une agression sur son territoire national. Le Danemark est-il prêt à en assumer les conséquences ?

Recourant à la même figure de style, Macron a justifié la livraison de missiles longue portée Scalp, suite aux Britanniques, et refusé de reconnaître toute responsabilité dans l’escalade du conflit : les missiles Scalp seront livrés «en gardant la clarté, la cohérence de notre doctrine, c’est-à-dire permettre à l’Ukraine de défendre son territoire», a déclaré le président de la République, excluant ainsi implicitement toute utilisation pour frapper la Russie. Des garanties «écrites» américaines, ici l’on tombe directement dans le sous-entendu, qui n’engage personne, mais souligne le malaise qui entoure cette décision politique.

Si l’on ne veut pas que des armes tirent, elles ne doivent pas entrer en scène. Comme l’impose le principe de dramaturgie du Fusil de Tchekhov : «Supprimez tout ce qui n’est pas pertinent dans l’histoire. Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là.» Cette règle vaut également pour les théâtres de guerre.

Dans ces trois cas, l’on décrypte sans difficulté, et le besoin de déresponsabilisation, et le besoin de trouver ce Deus ex Machina qui doit transformer la contre-offensive atlantico-ukrainienne traînante en victoire fulgurante et certaine. Même si les chars n’ont déjà pas changé la donne, même si les F-16 obligent à une formation sérieuse et longue pour éviter l’envoi au suicide des pilotes ukrainiens, même si les missiles longue portée sont confrontés au système russe de défense antiaérien. L’Occident globalisé veut gagner la guerre, c’est-à-dire anéantir la Russie… sans se battre. Il pense la victoire… sans regarder la bataille. Pour l’instant, la seule victoire que l’on constate sans aucun doute est celle de Tartuffe.

 

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