La carrière du président américain aurait pu s’arrêter avant même qu'elle ne commence, mais le système qui l’a produit aurait trouvé un autre dirigeant, estime Tony Cox.
Cet article a été initialement publié par RT en langue anglaise par Tony Cox, journaliste américain qui a travaillé pour Bloomberg News et plusieurs grands quotidiens.
Il est parfois intéressant de jouer à «et si», surtout lorsqu’il s’agit de moments charnières qui ne semblaient pas très significatifs à l’époque. Par exemple, que se serait-il passé si Adolf Hitler était devenu un artiste à succès ? Plus récemment – revenons à notre sujet –, que se serait-il passé si Joe Biden avait été exclu de la faculté de droit lorsqu’il a été pris en flagrant délit de plagiat ?
La décision prise par l’université de Syracuse en 1965 de laisser Joe Biden, alors âgé de 22 ans, redoubler plutôt que d’être renvoyé, ne semblait pas lourde de conséquences à l’époque. Alors qu’il était l’un des plus mauvais étudiants (classé 76e sur 85) d’une faculté de droit médiocre, Biden semblait probablement quelqu’un de peu d’importance, un type qui pourrait solliciter les victimes d’accident ou s’occuper de la planification successorale de clients âgés dans son Etat natal du Delaware, s’il parvenait à obtenir son diplôme et à passer l’examen du barreau.
Après tout, Joseph Robinette Biden n’a jamais semblé être une sorte d’étoile brillante à qui l’on pouvait prédire un avenir de grandeur ou d’influence. Fils bègue d’un vendeur de voitures d’occasion, Biden n’a jamais montré les qualités propres d’un leader dynamique et vertueux. Personne ne peut honnêtement prétendre qu’il a accédé au pouvoir grâce à des idées inspirantes, de grandes compétences politiques ou un caractère irréprochable.
Se faire prendre en train de tricher à la faculté de droit n’était qu’un avant-goût de nombreux scandales et embarras à venir pour le futur président des États-Unis, le «leader du monde libre». Mais tout comme il s’en est sorti indemne à Syracuse, en évitant ce qui aurait été la destruction de sa carrière avant même qu’elle ne commence, Biden a évité de devoir rendre des comptes à maintes reprises au cours de son demi-siècle en politique.
Quand il s’est fait prendre à plagier les discours d’autres hommes politiques lors de sa première campagne présidentielle en 1987, il est devenu la risée des médias et a dû quitter la course. Cependant, il était de toute façon un candidat peu prometteur, et il a réussi d’une manière ou d’une autre à être élu régulièrement sénateur des Etats-Unis pour le Delaware au cours des décennies suivantes. Il s’est également présenté à la présidence en 2008 avant d’effectuer deux mandats de vice-président sous le président Barack Obama, et de finalement parvenir à la fonction suprême en 2020.
Rien de cela ne serait arrivé s’il avait été expulsé de la faculté de droit. Personne ne sait ce que Biden aurait pu faire au lieu de la politique : il avait certainement le talent pour suivre les traces de son père dans la vente de voitures d’occasion mais il n’a jamais dû payer le prix de ses actes répréhensibles.
#MeeToo devenu muet
Pourtant, aucun mensonge, plagiat, aucune gaffe raciste ou allégation de corruption n’a pu empêcher l’arrivée de Biden au pouvoir. Lorsqu’il a été accusé d’avoir agressé sexuellement une stagiaire au Sénat à Capitol Hill, le mouvement #MeeToo est soudainement devenu muet. De même, à une époque où le harcèlement sexuel est un brise-carrière pour de nombreux Américains, Biden est politiquement resté indemne après ses inclinations tactiles.
Même lorsqu’il s’est présenté à la présidence depuis son sous-sol en 2020, toute personne disposant d’une connexion internet pouvait regarder des vidéos de lui tripotant ou reniflant des femmes et des petites filles lors d’événements publics quand il était vice-président.
Les médias traditionnels sont venus à la rescousse de Joe Biden en ignorant le contenu du journal et en se concentrant sur les méchantes personnes qui auraient tenté d’exploiter ces faits. Cela fait penser à l’époque où un autre enfant de Biden, son fils Hunter Biden, a laissé dans un atelier de réparation au Delaware son ordinateur portable, qui révélait des preuves possibles de la vente de l’influence politique de son père. A l’époque, les médias étaient également intervenus, mettant en avant les fausses affirmations d’anciens responsables du renseignement américain selon lesquelles les révélations portaient les signes de la «désinformation russe». Alors qu’il restait trois semaines avant les élections de novembre 2020, les plateformes de médias sociaux ont également aidé en censurant le reportage explosif du New York Post sur l’ordinateur portable.
Ironiquement, Biden a fait campagne en promettant de «restaurer l’âme de l’Amérique» et de «faire revenir la décence» à la Maison Blanche. Il l’a fait sans renoncer à son habitude de mentir, dans certains cas pour se faire le héros ou la figure sympathique de l’histoire. Par exemple, il a faussement affirmé qu’il avait été arrêté dans l’Afrique du Sud de l’apartheid alors qu’il était en route pour rendre visite à Nelson Mandela, et il a répété des mensonges qu’il racontait depuis au moins les années 80 au sujet de son travail en tant que militant des droits civiques lorsqu’il était adolescent. Il a faussement prétendu à plusieurs reprises que son fils Beau Biden était mort pendant la guerre en Irak, et il a inventé une histoire selon laquelle il était entré dans une «tempête de feu» en Afghanistan pour épingler une médaille sur un héros réticent.
Beaucoup de mensonges de Biden sont absurdes et sans conséquence, comme s’il les racontait pour le sport, par exemple lorsqu’il a affirmé qu’il avait travaillé comme chauffeur de camion, ou encore qu’il venait d’une famille de mineurs de charbon, ou celui d’avoir été «élevé dans une église noire». D’autres ont des conséquences plus graves, comme lorsqu’il a affirmé lors d’un débat en 2020 que le président Donald Trump répandait la désinformation russe en mentionnant le scandale de l’ordinateur portable. Il a cité la lettre signée par d’anciens responsables du renseignement pour prouver que l’ordinateur portable était une «désinformation russe», et pourtant il savait que c’était réel. Plus tard, il a été révélé que sa campagne aurait aidé à orchestrer la fausse lettre pour dénoncer le rapport explosif.
Au lieu d’être un fardeau politique, la malhonnêteté et l’hypocrisie de Biden pourraient être l’un des traits qui lui ont permis de devenir un homme de paille potentiel pour les détenteurs du pouvoir qui font élire les candidats américains. Il peut regarder un sceptique droit dans les yeux, lui dire le contraire de la vérité et lui faire honte d’avoir osé poser une question précise. Il y a un clip tristement célèbre de Biden faisant exactement cela à un électeur en 1987, quand il s’est vanté de son intelligence en racontant de multiples mensonges sur son dossier académique. Il a insulté l’homme en lui disant : «Je serais ravi de m’asseoir et de comparer mon QI au vôtre si vous le souhaitez.»
Ce niveau de confiance inébranlable et de condescendance en mentant est peut-être l’un des principaux arguments de vente de Biden pour l’élite dirigeante. Dans leur système, un président américain doit pouvoir pontifier sur le caractère sacré de la souveraineté d’un allié tout en poursuivant l’occupation illégale des gisements pétroliers syriens pendant près de dix ans et en s’ingérant dans les affaires d’autres pays dans le monde entier. Il doit prêcher l’autodétermination quand cela correspond à l’agenda néoconservateur occidental, tout en refusant le même privilège lorsque les habitants d’un endroit donné ne veulent pas de ce que Washington préfère.
Lorsque le complexe militaro-industriel salive sur une bonne opportunité pour une guerre par procuration, par exemple, en Ukraine, le commandant en chef doit être en mesure de justifier le financement de l’effusion de sang tout en vantant la nécessité de défendre «la liberté et la démocratie» – dans un endroit qui n’a ni liberté ni démocratie. C’est aussi un endroit où les Etats-Unis ont aidé à renverser le gouvernement démocratiquement élu et à priver de leurs droits ou à tuer de larges pans de la population. Et au niveau national, un président américain doit prétendre représenter la classe ouvrière respectueuse des lois tout en important des millions d’étrangers illégaux pour diminuer les salaires et restructurer la démographie du pays.
Tout dirigeant qui menace même de s’écarter du programme sera au moins castré politiquement, ou au maximum tué. Comme l’a averti le sénateur démocrate Chuck Schumer en 2017, après que Trump a suggéré que les agences d’espionnage américaines essayaient de créer un faux dossier sur les attaques de hackers russes : «Vous vous en prenez à la communauté du renseignement, ils ont six façons de vous répondre à partir de dimanche.» En d’autres termes, portez atteinte aux intérêts des citoyens, ou alors…
Le manque de conviction morale de Biden est également utile. Il ne semble y avoir aucune question sur laquelle il ne soit pas disposé à faire volte-face si les vents politiques tournent, ou si ses maîtres fixent un nouveau cap. Il peut sans vergogne modifier le passé comme un «Big Brother» orwellien racontant que l’Océanie a toujours été en guerre avec l’Eurasie.
Par exemple, lors d’un débat des primaires présidentielles de 2020, Biden a affirmé avec force avoir été un fervent opposant à la guerre illégale des Etats-Unis en Irak, alors qu’en fait il était l’un de ses principaux partisans et a loué la position «audacieuse» du président de l’époque George W. Bush en la matière. C’est le même politicien qui a chanté l’éloge du sénateur Robert Byrd, un ancien «Cyclope exalté» du KKK, en 2010, puis a affirmé en 2020 qu’il se présentait à la présidence parce qu’il était fortement indigné par un rassemblement suprémaciste blanc à Charlottesville, en Virginie.
Donc, en regardant Biden à travers le prisme de son utilité pour les gens qui achètent les politiciens, il n’est pas surprenant qu’il se soit hissé au sommet. Deux ans seulement après avoir remporté son premier poste au gouvernement local, il est devenu l’un des plus jeunes Américains jamais élus au Sénat. Il a ensuite été surnommé «Le sénateur de la MBNA», en référence à la banque du Delaware qui a aidé à financer ses campagnes pendant des décennies et a confié à Hunter Biden un travail de consultant fictif. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si Joe Biden était l’un des principaux partisans d’un projet de loi clé que le secteur bancaire souhaitait, rendant plus difficile pour les consommateurs d’obtenir une protection contre leurs dettes de carte de crédit en cas de faillite.
A Washington D.C., «la vertu n’est pas au menu»
Certains défenseurs de Biden tentent de détourner les critiques de sa personnalité en soulignant les défauts de ses adversaires politiques, en particulier Trump. Malheureusement, c’est la réaction standard aux vérités accablantes de la politique américaine d’aujourd’hui. Il n’est pas faux de dire que le chef de l’autre équipe est coupable de quelque chose : avoir des squelettes dans le placard semble être une condition préalable pour accéder à de hautes fonctions aux États-Unis – mais cette approche signifie que personne n’est jamais tenu responsable par ses partisans.
Affirmer que les dirigeants de l’autre parti sont mauvais ne rend pas les dirigeants de votre parti moins ignobles. Cela permet aux faiseurs de rois d’imposer plus facilement aux gens ce qu’ils veulent : même un octogénaire tellement dégradé cognitivement qu’il ne peut pas parler de manière cohérente ou sortir de la scène sans se perdre ou tomber.
C’est pourquoi, même s’il peut être amusant d’imaginer ce qui aurait pu se passer si Biden avait été tenu responsable d’avoir triché à Syracuse, ou ailleurs chemin faisant, cela n’aurait probablement pas fait beaucoup de différence. Supprimer un politicien particulièrement odieux de la liste ne signifie pas que les électeurs auraient eu une option plus honorable. Dans le Washington d’aujourd’hui, la vertu n’est pas au menu, et les citoyens ne sont ni disposés ni capables d’exiger quelque chose de mieux.
Gaza : le soutien de Biden à Israël remis en cause par des employés du Département d’Etat américain