Chroniques

Comment l’arrivée de la Chine en Afghanistan redistribue déjà les cartes mondiales

Docteur en sciences politiques, Sébastien Boussois explique sur les pages de RT France comment la situation en Afghanistan peut changer grâce à l'influence de Pékin, un acteur jusqu'ici très discret sur ce conflit.

C’est un nouveau succès déjà à venir de la Chine que l’on a pas anticipé. Un à un, Pékin place ses pions dans l’échiquier géopolitique mondial et cherche à assurer « la relève » diplomatique face à un Occident hostile et affaibli.

En effet, il est loin le temps où l’Occident triomphant cherchait non seulement à renverser des dirigeants autoritaires, y parvenait, exportait la démocratie, et se mettait les nouveaux régimes de son côté. Nous n’avons plus le vent en poupe et nous passons notre temps pour survivre à critiquer les pays, longtemps marginalisés, qui sont prêts à reprendre le flambeau géopolitique. Car il est loin le temps aussi où une guerre engagée par les Américains débouchait forcément sur une victoire et le triomphe des valeurs universalistes et parfois faussement démocratiques de Washington à l’Europe.

Ce que l’on constate depuis quelques années sur le nouvel échiquier géopolitique mondial, c’est une démultiplication des échecs politiques en matière de respect du droit international, une accentuation des tensions occidentales face à un nombre croissant de pays pivots qui ne partagent pas sa vision du monde,  et globalement le recul des « valeurs démocratiques universelles » qu’ils imaginaient pouvoir exporter sans fin. Or, ces pays qui visent depuis longtemps à des aspirations mondiales, de la Chine à la Russie notamment, court-circuitent de plus en plus les Américains qui ne sont pas parvenus à apporter la paix. Un à un, les grandes situations de crises mondiales, du Sahel à l’Afghanistan en passant par la Syrie prouvent qu’il y a une fenêtre d’opportunité majeure pour des pays comme la Chine aujourd’hui. Et l’arrivée en grandes pompes de Pékin à Kaboul, au moment où les derniers soldats US s’en vont, en est la dernière démonstration la plus frappante.

On ne parle que d’elle. La Chine s’est toujours cartographiée au milieu du monde mais est longtemps restée discrète. Désormais, elle a un agenda politique clair, pour allier le texte à la parole, et qui vise à un « impérialisme jaune » depuis la Mer de Chine jusqu’au vieux continent, en passant par les Amériques, l’Atlantique et le Pacifique. L’objectif de la Chine est loin de celui qu’imaginait l’intellectuel Francis Fukuyama, qui il y a des années, la voyait rejoindre progressivement les rives démocratiques de l’Occident. Il n’en est rien et cela lui réussit plutôt bien, dans un monde qui s’autoritarise et se populise, donc pourquoi changer ? L’Occident est lui aussi largement décrié pour son néo-colonialisme qui ne dit pas toujours son nom, ses guerres ratées et sa diplomatie multilatérale qui perds en puissance depuis le mandat de l’ex président américain Donald Trump.

Pendant que Paris et Washington protestent, la Chine a avancé en silence, sans faire de bruit. Elle est désormais partout.

En crise avec Canberra, avec les Européens, avec ses voisins asiatiques, avec l’Inde, le régime communiste est aussi en proie à des tensions inédites d’un point de vue économique avec Washington. Là où l’extension géographique et territoriale ou mentale est bloquée, la Chine poursuit sa conquête mondiale dans des pays autoritaires, des continents instables, ou des pays en guerre. La Chine profite du vide en Afghanistan, et de la panique locale, depuis l’annonce du retrait américain d’un pays où Washington n’est parvenu à peu près à rien en 20 ans. Comble du comble, ce désengagement ouvre un boulevard au régime chinois, qui a ses propres intérêts à conquérir le « heartland » eurasiatique que représente le pivot afghan. Il se passera sûrement la même chose au Sahel, quand la France aura fini d’évacuer ses troupes présentes au Mali, incapables de venir à bout des groupes djihadistes locaux, d’Al Qaïda, et de l’Etat islamique entre autres. La Chine pourra alors proposer ses services et ses devises. C’est « le temps des prédateurs » (1) qui sourit à Pékin, pour paraphraser l’ouvrage de François Heisbourg.

Pékin pourra donc jouer la politique de la chaise vide et surtout remplir le vide abyssal qui s’offre à elle dans de nombreuses zones de conflit abandonnées par l’Occident. Ce que peut Pékin, et qui pose de plus en plus de problèmes à cet Occident moralisateur justement, c’est se rapprocher par des alliances parfois contre-nature, de régimes en place bien contraires aux valeurs démocratiques- ce qui en soi n’est aucunement un problème pour la dictature chinoise bien sûr. La Chine a une ambition mondiale : elle est là pour mettre en place ses nouvelles routes de la Soie, qui de Pékin à l’Europe, lui permettra une main mise économique majeure sur tous les terrains où elle a déjà posé ses valises de capitaux. Et chacun se servira sur le passage car il y a énormément de capitaux en jeu. Mais pas que : l’Afghanistan ne peut basculer dans une nouvelle guerre civile au risque de contrecarrer ses plans. Il faut donc sécuriser le pays, et se rapprocher de ceux qui vont bientôt prendre le pouvoir inexorablement. Et ce sont les Taliban qui font une percée fulgurante depuis quelques semaines, de Kandahar vers Kaboul, comme jamais. Il faut donc pour Xi Jinping se les mettre de son côté.  Leur retour est annoncé depuis des mois. L’Occident a failli là où l’Empire du Milieu qui devient un Empire externalisé réussira sûrement. Stabiliser au nom de la realpolitik puis asservir les pays à ses propres intérêts.

Pendant que Paris et Washington protestent, la Chine a avancé en silence, sans faire de bruit. Elle est désormais partout. Comment bloquer dorénavant cet entrisme qui s’apparente à une nouvelle invasion politique, économique et culturelle mondiale ? Ce n’est plus possible. On assiste à un vrai basculement du monde, un raz de marée géopolitique sur les mers, dans l’air et sur les terres.

(1) Odile Jacob, Paris, 2020




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