La centrale à charbon de Saint-Avold a repris du service. Un redémarrage couteux, tant sur les plans financier, écologique et humain, sur la table avant même la fermeture de la centrale fin mars.
La haute cheminée crache de nouveau son épaisse fumée et un incessant ballet de camions vient décharger une sombre cargaison, au milieu du bruit des turbines : avec le froid qui s’installe, la centrale à charbon de Saint-Avold, une des dernières de France, a repris du service.
Grosse émettrice de CO2, cette centrale devait fermer ses portes définitivement fin mars mais, avant même sa fermeture, le gouvernement avait fait volte-face, afin de sécuriser l’approvisionnement du pays en électricité, compte des déboires rencontrés par le parc nucléaire d’EDF auxquels le conflit ukrainien est venu s’ajouter.
Depuis le 28 novembre, 9h, la centrale Emile-Huchet envoie ainsi de nouveau de l’électricité sur le réseau. Les salariés sont «fiers» d’être «au rendez-vous», se félicite Thomas About, chef de quart de 32 ans, présent lors de la fermeture fin mars de cette tranche vieille de 41 ans.
Coût de l’opération : 500 millions d’euros
Ce redémarrage aurait pu survenir plus tôt, début octobre, mais les températures sont restées clémentes. «Nous attendions que le système électrique ait besoin de nous», explique Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie, entreprise propriétaire de l’installation. Un redémarrage fruit d’une «belle réussite collective», selon Thomas About, car lui et ses collègues travailleurs du charbon l’affirment : ils ont «l’intérêt collectif chevillé au corps».
Coût total de l’opération pour GazelEnergie : 500 millions d’euros, dont 400 millions «pour le charbon et sa logistique», détaille Camille Jaffrelo. Avant le redémarrage, l’entreprise a aussi réalisé d’importants travaux de rénovation sur les installations.
La loi pour le pouvoir d’achat votée début août incluait une mesure permettant à GazelEnergie de réembaucher les salariés cet hiver. Plus de la moitié partaient à la retraite et les plus jeunes devaient être reclassés au sein des nouveaux projets de l’entreprise.
Sentiment «mitigé» et grosses primes
Au total, 70 d’entre eux ont répondu présent. Si la généreuse prime de 5 800 euros brut par mois proposée aux salariés pour cet hiver a pesé dans la balance, «il n’y a pas que ça» : «les gens aiment leur travail» et ont «envie de servir à quelque chose», explique le responsable du parc charbon, Sylvain Krebs, 47 ans, dont 23 ans de centrale.
Rappeler les jeunes retraités a aussi été une «obligation» pour l’entreprise qui a besoin de leurs compétences : le charbon, «c’est de l’industrie lourde, ce n’est pas en claquant des doigts que vous êtes formés», souligne Sylvain Krebs.
Devant les 420 000 tonnes de charbon stockées en plein air et dont il a la responsabilité, il a toutefois un sentiment «mitigé» face à cette reprise car, il en est convaincu, il faut «tourner la page» de cette ressource très polluante qui a fait vivre la Lorraine pendant près de deux siècles.
Pour cet hiver, la centrale va en brûler entre 500 000 et 600 000 tonnes de minerai – importées en urgence du continent américain –, à raison de 5 000 à 6 000 tonnes par jour. «L’opération générera environ 1,8 million de tonnes de CO2, soit près de 10% du total des émissions du système électrique français» relatait David Marchal, directeur exécutif adjoint de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) auprès de Challenges.
La centrale a le droit de fonctionner 2 500 heures jusqu’en mars 2023 pour «sécuriser le système électrique cet hiver», précise Camille Jaffrelo. Lorsqu’elle tourne à pleine capacité Emile-Huchet peut produire jusqu’à 600 mégawatts-heures et est en mesure d’alimenter un tiers des foyers de la région Grand Est.
«Humainement, on ne peut pas jouer au yoyo avec 150 personnes»
Il n’y a qu’une seule autre centrale à charbon encore ouverte en France, à Cordemais, en Loire-Atlantique. Sur le territoire national plus de 67% de l’électricité produite est d’origine nucléaire, la part des combustibles fossiles étant en 2020 de 7,5%, dont 6,9% de gaz et seulement 0,3% de charbon. Quant à une éventuelle reprise pour l’hiver 2023-2024, GazelEnergie appelle le gouvernement à prendre une décision le plus rapidement possible.
«Hors de question pour nous de renvoyer au mois d’avril nos salariés à la maison sans visibilité», insiste Camille Jaffrelo. «Ce n’est pas possible humainement, on ne peut pas jouer au yoyo avec 150 personnes», ajoute-t-elle, demandant au gouvernement de se prononcer «avant avril pour que cette centrale puisse fonctionner» éventuellement l’an prochain.
Une fois définitivement fermée, la centrale Emile-Huchet sera démantelée pour laisser la place à de nouveaux projets, notamment une chaudière biomasse qui fournira de la chaleur aux industriels de la plateforme chimique voisine de Carling et que GazelEnergie espère mettre en service fin 2024.
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