Les critiques sont nombreuses en France, au lendemain de l'entretien inattendu entre les ministres français et russe de la Défense. En dépit des désaccords manifestes entre Sébastien Lecornu et Sergueï Choïgou, l'analyste Nikola Mirkovic souligne qu'il ne pourra jamais y avoir de négociations de paix sans un début de dialogue.
«Il ne peut pas y avoir de négociations de paix sans dialogue» : pour l’analyste Nikola Mirkovic, fondateur de l’ONG Ouest-Est et auteur de l’essai Le chaos ukrainien, comment en est-on arrivé là, l’entretien téléphonique qui a eu lieu le 3 avril au soir entre les ministres français et russe de la Défense est «forcément une bonne nouvelle».
Un jugement formulé en dépit des divergences évidentes entre les communiqués de Paris et de Moscou. En effet, tandis que Sébastien Lecornu dit avoir «appelé la Russie à cesser toute instrumentalisation» de l’attentat de Moscou en accusant l’Ukraine, Sergueï Choïgou a indiqué disposer d’«informations sur une piste ukrainienne dans l’organisation de l’attentat» et ajouté espérer, Kiev ne faisant «rien sans l’approbation des Occidentaux», que les services secrets français n’étaient «pas derrière cela».
L’éventualité d’une discussion ultérieure sur l’Ukraine n’a de surcroît été évoquée que par Moscou, Paris se bornant publiquement à condamner la «guerre d’agression» russe.
«Il n’y a pas de solution miracle, forcément ils ne seront pas d’accord», observe Nikola Mirkovic, admettant l’antagonisme de cet échange de vues. La véritable teneur des propos n’est connue que des principaux intéressés, pense-t-il par ailleurs.
Bien sûr, cette discussion est d’autant plus surprenante qu’elle intervient alors que les tensions sont vives entre la France et la Russie. Moscou dénonce, depuis la mi-janvier et l’annonce de la livraison de 40 missiles supplémentaires à Kiev par Emmanuel Macron, l’implication croissante de Paris en Ukraine. Les propos du président français, refusant le 26 février d’exclure l’envoi de troupes occidentales en Ukraine, n’ont rien arrangé.
L’appel a déjà suscité de vives critiques en France. Ce 4 avril, Emmanuel Macron a qualifié les propos de Sergueï Choïgou de «baroques et menaçants».
François Hollande refuse tout contact avec la Russie
Sur France Inter ce 4 avril, l’ancien président français François Hollande a recommandé que le gouvernement n’entretienne «aucun contact» avec la Russie après «l’instrumentalisation» faite par Moscou de l’entretien. «Vous avez vu comment la Russie instrumentalise ce genre de discussions et laisse même penser que ce serait la France qui aurait pu soutenir les attentats à Moscou», s’est offusqué l’ancien président. Il faut «aider, aider et aider encore l’Ukraine. Plus on aidera l’Ukraine, plus sera grande la chance que ce conflit s’arrête», a ajouté François Hollande.
«C’est de la manipulation extrême. On est dans la manipulation absolue et malheureusement l’instrumentalisation du terrorisme à des fins de propagande», a aussi déclaré sur Sud Radio son ancien ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
«Une vision étriquée de la diplomatie»
«Il est triste de voir qu’il existe toujours des personnes avec une vision étriquée de la diplomatie», fustige Nikola Mirkovic. Une réaction qui d’ailleurs n’étonnera guère, François Hollande s’étant illustré en 2014 en annulant, sous la pression américaine, la vente de deux porte-hélicoptères Mistral à Moscou à la suite du retour de la Crimée à la Russie. Au printemps 2023, l’ancien président avait aussi confié avoir voulu, avec Angela Merkel, utiliser les accords de Minsk dont la France et l’Allemagne devaient être les garants, non pour assurer la paix mais pour accorder plus de temps à Kiev pour préparer son armée face à la Russie.
«Il y a encore des gens qui veulent une position très dure, ce qui n’est pas une option raisonnable ni pour la diplomatie ni pour la situation politique et économique européenne», poursuit Nikola Mirkovic. «Géographiquement, l’Europe et la Russie seront toujours côte-à-côte», souligne-t-il.
«Il y aura forcément une porte de sortie, sanglante ou pacifique», poursuit notre interlocuteur : «C’est le terrain militaire qui donnera le vainqueur, soit des négociations.» Pour l’heure, selon Mirkovic, «la France a l’air un peu perdue, comme l’est l’ensemble du monde atlantiste». «Il y a quelques semaines, Macron considérait envoyer des troupes au sol, synonyme d’escalade majeure. Hier, le ministre de la Défense appelle son homologue russe pour discuter. Aujourd’hui, Macron qualifie les propos de Choïgou de “baroques”», résume-t-il.
«Panique dans le milieu atlantiste»
Ainsi voit-il dans ces hésitations une «prise de panique dans le milieu atlantiste». Alors que la Russie dit avoir des preuves reliant les islamistes aux services ukrainiens, les dirigeants occidentaux craignent, selon Nikola Mirkovic, «que cela soit possible». «On sait que les atlantistes ont déjà utilisé des islamistes», ajoute-t-il, rappelant les précédents du Kosovo, de l’Afghanistan, de l’Irak ou de la Syrie.
Une panique qui se double d’une division, fait-il remarquer. «L’Occident se rend compte que le conflit qu’il a créé, via le soutien au coup d’État de l’Euromaïdan ou les bases de la CIA, lui a échappé.» Et de conclure, invitant à prendre au sérieux les propos exprimés à l’heure actuelle : «Ils ne savent plus comment gérer ça, nous assistons à des débats profonds sur la marche à suivre.»
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