Economie

Impôts : quand Bercy convoite les données bancaires des Français

L’administration fiscale ambitionne d’accéder, en temps réel, aux mouvements bancaires des Français. Pour l’heure rejetée, cette initiative s’inscrit dans les différents projets de collecte et de recoupement des données des contribuables.

Près d’un an, c’est le temps qu’il aura fallu pour que l’information fasse surface. En l’occurrence, une lettre du directeur interministériel du numérique (Dinum), mise à jour par le site Next INpact. Dans ce document daté du 15 octobre 2021, le «monsieur tech» du gouvernement renvoie Bercy dans les cordes, refusant que l’administration fiscale puisse se frayer un chemin d’accès permanent à l’ensemble des mouvements bancaires des Français.

«Il n'y aura pas de nouvel impôt !» : les tours de passe-passe fiscaux du gouvernement


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Pour l’heure, le Fisc n’est censé avoir connaissance que de l’existence des comptes (courants, d’épargne, d’assurance vie, etc.), les établissements bancaires ou d’assurance en France étant en effet tenus d’informer Bercy de chaque ouverture de comptes. Ces informations alimentent le Fichier des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), base de données géante créée en 1971 qui agglomère actuellement plus de 800 millions de références.

Si des agents du Trésor souhaitent obtenir le relevé exhaustif des transactions d’un contribuable, dans le cadre d’un contrôle fiscal, ils doivent en formuler la demande auprès des établissements hébergeant ces comptes. Des formalités dont ils escomptaient visiblement se dispenser à l’avenir.

Mettant en avant l’application de la directive européenne sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (5e Directive «AML»), le ministère de l’Economie entendait offrir à ses agents une vision complète et en temps réel de l’ensemble des transactions bancaires des Français (ainsi que la connaissance du solde des comptes).

Accès en temps réel aux données bancaires : un projet, pour l’heure, rejeté

Objectif : desceller les transactions suspectes, ce alors même que les banquiers, assureurs et notaires sont déjà tenus d’en signaler certaines auprès de Tracfin, le service de renseignements de Bercy dédié à la lutte contre le blanchiment.

Une initiative jugée trop hâtive et floue par la Dinum, qui souligne que les «principales mesures» exigées par Bruxelles «ont d’ores et déjà été embarquées dans les évolutions en cours» de Ficoba.

«Les cas d’usage de ces soldes et de ces opérations ne sont pas détaillés et leur conformité avec le cadre juridique actuel ne me paraissent pas suffisamment solide», ajoute Nadi Bou Hanna, alors patron de la Dinum, cité par la presse spécialisée. «Nous n’avons pas trouvé trace, non plus, de débats parlementaires permettant d’autoriser ces évolutions substantielles», souligne également le polytechnicien, invitant Bercy à se rapprocher de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour s’assurer de la «conformité» d’un tel projet.

Reste à savoir si la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) s’en tiendra à cet avis défavorable. Car l’administration fiscale n’a pas attendu les directives européennes pour muscler ses outils. D’ailleurs, elle oblige déjà depuis l’été 2016 les assureurs à transmettre le détail des comptes d’assurances vie abritant plus de 7 500 euros.

Plus que toute autre administration française, Bercy a su prendre le virage du numérique. Il faut dire que la toile regorge d’informations, mises en ligne à la vue de tous par les contribuables eux-mêmes. Une opportunité d’affiner sa recherche des «profils de fraude» que le Trésor public n’a pas manqué de saisir.

Fisc 2.0 : quand Bercy se convertit au datamining

Photos postées sur Instagram, tweets, profils Viadeo : depuis la loi de finances 2020 (article 154), nombre de publications publiques sur les réseaux sociaux sont par ailleurs analysées par les services de Bercy. Egalement objet de ce ratissage : les transactions entre particuliers sur les sites de ventes en ligne.

Le fisc français va utiliser un algorithme de Google pour repérer les piscines non déclarées


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Le recoupement de ces données, avec les déclarations fiscales, permettrait ainsi de mieux «cibler» les contrôles fiscaux. Dit autrement, l’intelligence artificielle écrème les dossiers pour les agents du Fisc, leur permettant de se pencher sur des cas qui n’auraient pas nécessairement attiré leur attention.

En 2021, selon la DGFiP, l’intelligence artificielle aurait été à l’origine de 45% des procédures, contre 32,5% en 2020. L’ambition affichée pour 2022 est d’atteindre 50%. Un objectif auquel contribuera sans nul doute «Galaxie», un autre outil de traitement informatisé des données qui a officiellement fait ses débuts à Bercy en mars. Ce dernier permet le recouper toutes les informations dont dispose l’Etat sur un individu.

Une boulimie d’informations qui fait jaser. Début août 2021, Le Canard enchaîné faisait par exemple florès en révélant «Foncier innovant», un programme basé sur un algorithme qui recoupe les données cadastrales avec les photos satellitaires de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), et ce afin de desceller les constructions imposables non déclarées dans les jardins des particuliers.

Encore en phase expérimentale, «Foncier innovant» fait un carton dans les communes où il passe. Rien que dans le Rhône, les agents du Fisc ont ainsi repéré 2 432 piscines non inscrites au cadastre, selon l’hebdomadaire. Le tout pour des recettes accessoires  – 10 millions d’euros en 2022 selon les extrapolations de la DGFiP –, mais avec un franc succès auprès de tous ceux qui souffrent de phobie administrative.

Interrogée par BFMTV sur cet avis défavorable rendu par la Dinum quant à un accès aux données bancaires des Français, la DGFiP n’exclut pas de renouveler sa demande. «Il va de soi que toutes les consultations juridiques nécessaires seront préalablement menées avant une éventuelle évolution du cadre légal qui ferait lui-même, par définition, l’objet d’un débat public au moment de la discussion de la loi», développe ainsi l’administration centrale.

Du côté de la Dinum, Stéphanie Schaer a pris la succession de Nadi Bou Hanna. Nommée le 26 septembre par décret, cette proche d’Elisabeth Borne passée par Matignon est également une ancienne de Bercy, contrairement à son prédécesseur.

Maxime Perrotin




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