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Kadhafi a emporté le pays avec lui : les Libyens se sentent sous occupation après avoir été «libérés»

Douze ans après le Printemps arabe et la disparition de Kadhafi, la Libye se souvient encore de la vieille époque avant 2011 où elle disposait d'une véritable souveraineté.

Cet article a été initialement publié sur RT en langue anglaise par Mustafa Fetouri, universitaire libyen, journaliste et analyste, lauréat de plusieurs prix.

 

Il y a 12 ans, le Printemps arabe, comme il est convenu de l’appeler, s’est invité en Libye, mettant fin au pouvoir de Mouammar Kadhafi, plongeant le pays dans le chaos et le laissant divisé selon des frontières régionales ou tribales. Kadhafi lui-même a été assassiné par des milices soutenues par l’Occident. 

L’invasion militaire déguisée de l’OTAN 

Ce qui a commencé en février 2011 comme une petite manifestation limitée de civils contre le gouvernement de Kadhafi dans l’est de la Libye s’est avéré être une tentative de reversement du pouvoir soutenue par l’Occident, impliquant une intervention militaire de l’OTAN déguisée en «protection des civils». 

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Forcé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1973, qui a ouvert la porte au recours à la force contre la Libye tout simplement parce que les puissances occidentales voulaient destituer Kadhafi en violation flagrante de la résolution elle-même. Le reste appartient à l’histoire. 

La démocratie, la prospérité et la liberté étaient à portée de main, a-t-on annoncé aux Libyens troublés. Mais après l’avoir tendue, ils ont néanmoins découvert que si Kadhafi avait disparu, il avait en quelque sorte emporté la Libye avec lui.

Des années plus tard, le pays est au point mort, avec peu de progrès vers la liberté et la stabilité. Beaucoup de ses décisions souveraines sont prises par d’autres, alors que le pays est dominé par des milices armées, servant de mandataires pour des puissances étrangères. 

Pourquoi les Libyens se sentent-ils sous occupation ? 

La plupart des Libyens sentent que leur pays a perdu sa souveraineté et a été plongé dans une nouvelle forme d’occupation. Les hommes politiques libyens sont à peine capables de décider quoi que ce soit sans interférence étrangère. Les mêmes pays qui ont déstabilisé la Libye il y a une dizaine d’années entravent maintenant son développement. 

La souveraineté nationale et l’indépendance en politique étrangère et intérieure représentaient deux piliers importants du règne de Kadhafi 

La souveraineté nationale et l’indépendance en politique étrangère et intérieure représentaient deux piliers importants du règne de Kadhafi. Au cours de ses 40 années à la tête de cet État riche en pétrole de l’Afrique du Nord, il avait réussi à faire de ces piliers une partie intégrante de l’identité nationale libyenne. Par conséquent, les Libyens sont devenus méfiants envers toute sorte d’ingérence étrangère dans les affaires du pays, en soupçonnant presque tout ce qui provient de l’Occident, notamment de l’Italie, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. Dans l’histoire libyenne, ces quatre pays ont joué un rôle néfaste, dont une grande partie n’est pas oubliée, et ils se voient accusés d’avoir violé la souveraineté de la Libye. 

Avant le renversement du pouvoir de Kadhafi en 2011 par les forces occidentales et la guerre civile subséquente, la Libye célébrait quatre fêtes annuelles, chacune marquant un point culminant dans la glorieuse histoire du pays et rappelant à la jeunesse l’importance d’une nation indépendante et souveraine. De hauts fonctionnaires étrangers, parfois même des chefs d’État, participaient à ces événements nationaux symboliques afin de souligner encore plus leur importance.

La fière Libye d’autrefois 

Par exemple, le 28 mars marque l’expulsion des forces britanniques qui occupaient une base aérienne stratégique à Tobrouk dans l’est de la Libye. En 1970, seulement six mois après son arrivée au pouvoir, Kadhafi a ordonné à toutes les troupes étrangères de quitter le pays sous peine de faire face à la colère publique. Le 11 juin de la même année, les troupes américaines se sont retirées de leur énorme base militaire à l’extérieur de Tripoli. En raison de sa taille et des services proposés, la base aérienne de Wheelus était surnommée «Petite Amérique». Elle disposait du plus grand hôpital militaire en dehors des États-Unis, d’un cinéma multiplex, d’une piste de bowling et d’un lycée. À son pic, elle s’étendait sur une cinquantaine de kilomètres carrés sur la côte méditerranéenne, dont l’accès était interdit aux  Libyens ! Wheelus logeait à peu près 15 000 militaires et leurs familles. Les pilotes avaient accès à cinq champs de tir à proximité d’Al Watiya dans le désert libyen. Aujourd’hui, Wheelus a été reconvertie et est devenue l’aéroport de Mitiga.

Jusqu’en 2011, la Libye avait l’habitude de célébrer la fête du 7 octobre, date anniversaire de l’expulsion de quelque 20 000 colons italiens en 1970. Ces derniers représentaient l’aspect civil de l’occupation italienne de la Libye qui avait commencé en 1911. À une certaine époque, ils possédaient ou contrôlaient pratiquement tout le commerce des principaux produits, les ateliers de réparation et les petits moulins. Dans l’est de la Libye, ils possédaient les sols les plus fertiles où les Libyens n’étaient tout simplement qu’une main-d’œuvre bon marché. La plupart d’entre eux étaient payés en nourriture et en logement et ne recevaient pas d’argent, alors que les colons possédaient des ateliers artisanaux qui embauchaient des artisans locaux, mais leur payaient un salaire dérisoire.

Les secteurs bancaire et pétrolier ont partagé le sort des bases militaires étrangères. Jusqu’en 1969, où a éclaté la révolution de Kadhafi, les Britanniques et les Italiens dominaient le secteur bancaire. À partir de décembre 1970, toutes les banques nationales ont été privatisées, conformément à la loi 153 adoptée cette année-là. Le même modèle a été appliqué à l’industrie pétrolière. Tout d’abord, toutes les sociétés de ce secteur opérant en Libye ont reçu un nom arabe. Et en 1973 la nouvelle loi pétrolière a été promulguée, nationalisant la plus grande partie de l’exploration, de la production et des exportations de pétrole.

L’ancien pouvoir s’est fait un devoir de rappeler aux Libyens leur glorieuse histoire de lutte contre les puissances coloniales

L’ancien pouvoir s’est fait un devoir de rappeler aux Libyens leur glorieuse histoire de lutte contre les puissances coloniales qui avaient envahi le pays, notamment la colonisation italienne qui a coûté la vie à presque un demi-million de Libyens entre 1911 et 1943, dont le chef de la résistance Omar al-Mukhtar, capturé et pendu en 1931.

Après des années de pression et de négociations, la Libye a réussi à faire ce qu’aucun autre pays n’avait pu faire, c’est-à-dire à contraindre l’Italie de s’excuser de sa brutalité coloniale et à payer des réparations. En 2008, Tripoli et Rome ont signé le Traité d’amitié, de coopération et de partenariat qui a réglé leurs différends de la période coloniale, tout en montrant un exemple anticolonial. D’après ce traité, Rome s’est engagé à payer à Tripoli un demi-milliard de dollars sur une durée de 25 ans, sous la forme de projets de développement incluant des routes, des hôpitaux, un réseau ferroviaire, des bourses pour des étudiants libyens et la restitution d’artéfacts volés. 

La nouvelle Libye n’est plus fière

La nouvelle Libye n’est pas désireuse de se souvenir, encore moins de célébrer «son histoire lointaine ou récente», affirme un historien de Tripoli qui a voulu garder l’anonymat. «L’histoire fait partie intégrante de l’identité nationale», ajoute-t-il, construite au fil du temps par «l’éducation des jeunes et l’information des anciens». Son collègue Milad, également réticent à révéler son nom de famille de peur de représailles, en est d’accord, estimant que «l’un des plus grands héritages de l’ère Khahafi était de rendre les Libyens fiers d’eux-mêmes en honorant les événements nationaux du passé».

Depuis octobre 2011, pas une seule commémoration ou célébration n’a eu lieu dans le pays. Pire encore, la politique libyenne, y compris la question des élections et les affaires économiques, est gérée par des pays étrangers ou leurs mandataires locaux.

La Libye de nos jours abrite plus de 20 000 soldats, mercenaires et groupes armés étrangers qui soutiennent diverses factions locales, se battant entre eux pour le pouvoir et l’influence. Pour beaucoup de Libyens, c’est «inimaginable», selon Ali Mahmoud de l’Université de Tripoli qui se demande «comment la Libye s’est mise à héberger des troupes étrangères, des décennies après les avoir chassées».

La majorité des Libyens sont mécontents de la présence des forces étrangères dans les bases militaires de Misrata, de Benghazi, d’Al-Watya au sud-ouest de Tripoli et d’autres endroits, et la considèrent comme une forme d’occupation.

Un sentiment d’occupation dissimulée

Aux yeux des Libyens ordinaires, leur pays est vraiment sous une occupation indirecte du point de vue «militaire et politique», affirme Samia al-Hussein (un pseudonyme), une avocate de Benghazi. Les élections initialement prévues pour 2021 ont été reportées à une période indéfinie parce que les ambassadeurs des États-Unis et du Royaume-Uni ne voulaient pas d’élections avec Saïf al-Islam Kadhafi, fils de Mouammar, comme favori.

Le jeune Kadhafi bénéficie d’un large soutien à travers tout le pays

Le jeune Kadhafi bénéficie d’un large soutien à travers tout le pays, et en 2021 il a été autorisé par les tribunaux à briguer la présidence après en avoir été banni initialement. Si les élections s’étaient tenues comme prévu en décembre 2021, il en aurait été le vainqueur inéluctable. Afin de repousser une telle éventualité, l’ancienne ambassadrice britannique Caroline Hurndall et son homologue américain Richard Norland se sont opposés publiquement à sa nomination.

Confronté à la colère du peuple, le Parlement, en opposition au ministère des Affaires étrangères, a été contraint de déclarer Caroline Hurndall persona non grata précisément à cause de ses déclarations sur les élections. Autre signe de cette occupation indirecte, elle n’a jamais quitté le pays jusqu’à la fin de son mandat en octobre dernier. Richard Norland n’a même pas été réprimandé par le ministère libyen des Affaires étrangères comme cela aurait été le cas dans d’autres pays. Pourquoi ? Parce qu’il est l’ambassadeur des États-Unis.

Bien qu’elle soit dans le camp anti-Kadhafi, Samia al-Hussein a invoqué une réunion secrète et récemment dévoilée entre l’ancienne ministre des Affaires étrangères Najla al-Mangoush, aujourd’hui en fuite, et son homologue israélien, tenue à Rome en août dernier. Elle pose la question : «En quoi une normalisation de ce genre sert-elle les intérêts libyens et pourquoi un responsable libyen penserait-il à rencontrer un représentant de l’État sioniste, si ce n’était pour obéir à un ordre reçu de l’extérieur ?» Elle a ajouté que la Libye était «particulièrement fière» d’avoir soutenu les Palestiniens tout au long de leur histoire.

Des centaines de Libyens se sont portés volontaires pour combattre lors de la première guerre palestinienne en 1948. Samia al-Hussein pense également que la réaction de la Libye à la guerre à Gaza a été «moins forte qu’attendu» de la part d’un pays où la cause palestinienne est sacrée. La plupart des Libyens trouvent que leur pays devrait faire plus d’efforts, bien que le gouvernement ait donné quelque 50 millions de dollars d’aide à Gaza.

Musbah Adokali, un étudiant en droit à Beni Ulid, le bastion de Kadhafi, pense que les responsables libyens reçoivent des ordres de l’extérieur et agissent contre la volonté du peuple. Il fait référence au cas du citoyen libyen Abu Agila Mas’ud qui a été enlevé et emmené aux États-Unis pour y être accusé d’avoir participé à l’attentat terroriste contre le vol 103 de la Pan American Airlines il y a 35 ans. L’étudiant a déclaré que cela avait été fait «sur les ordres des États-Unis», sinon cela n’aurait pas eu lieu. «Si ce n’est pas une occupation, je ne sais pas ce que c’est», a conclu Musbah Adokali.

 

 

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