Les Houthis ont célébré le huitième anniversaire de la prise de Sanaa. Des rebelles yéménites qui ont su s'imposer comme un puissant groupe armé face à la coalition arabe menée par l'Arabie saoudite : retour sur l'histoire d'une milice méconnue.
Les Houthis ont organisé le 21 septembre un défilé militaire de grande ampleur pour célébrer le huitième anniversaire de leur prise en 2014 de Sanaa, la capitale du Yémen. 35 000 membres de différentes formations militaires des écoles de guerre et de marine, de l’école d’aviation, de l’armée de l’air, de l’armée de terre, de la défense aérienne et côtière, des forces spéciales, de la police militaire et des brigades de conquête ont participé à cette parade. Ils ont en profité pour dévoiler des dizaines de systèmes de missiles avancés, des armes navales et des missiles de défense anti aériens.
Le chef militaire houthi Mehdi al-Mashat a prononcé un discours, appelant le gouvernement yéménite et la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite à s’engager dans la paix et à lever le blocus de l’aéroport de Sanaa et du port maritime de Hodeidah.
Le général de brigade Yahya Saree a de surcroît déclaré : «Je mets en garde la coalition contre toute agression ou escalade, et je l’avertis de ne pas rater l’occasion de l’armistice, et que la situation yéménite après le défilé n’est plus la même qu’auparavant.»
Ansar Allah, les partisans de Dieu – autre nom des Houthis – est devenu une milice redoutable qui a su s’imposer sur le théâtre yéménite malgré l’offensive militaire lancée par la coalition arabe en 2015. Toutefois les rebelles yéménites, un groupe paramilitaire souvent perçu comme étant le bras armé de l’Iran dans le Golfe mais qui puise sa source dans les racines de l’histoire du Yémen, demeurent peu connus du grand public.
Un mouvement profondément yéménite
Depuis l’an 890, la communauté zaydite (dont sont issus les Houthis) a fondé un imanat dans le nord du Yémen. Cette population chiite ne partage pas les mêmes accointances théologiques et spirituelles que la majorité mondiale des Chiites. Contrairement aux Chiites duodécimains qui représentent la majorité des Chiites dans le monde, ils ne reconnaissent pas 12 imams mais 5 et n’attendent pas l’arrivée du Mahdi (l’imam caché). Dans la théologie chiite, les duodécimains pensent que le dernier imam n’est pas mort mais qu’il doit revenir à la fin des temps. Cette opposition les rapproche plus de certains rites sunnites. Majoritairement montagnarde, la population zaydite agit selon des codes et des traditions tribales. Retranchée dans son centre historique de Saada, la communauté zaydite vivait reculée des centres urbains et des plaines.
Suite à la chute de l’Empire ottoman en 1923, le Yémen du Nord devient indépendant et constitue une monarchie de rite zaydite. Mais en raison de l’intervention égyptienne de Gamal Abdel Nasser en 1962 pour mettre en place une République panarabe, les zaydistes perdent leurs prérogatives politiques et sont marginalisés des instances du pouvoir. Dès 1979, l’émergence d’un chiisme politique révolutionnaire va insuffler un espoir au sein cette communauté yéménite.
Ils créent un mouvement intellectuel politique dissident, calqué sur l’idéologie iranienne. Ils se nomment «la jeunesse croyante» (al Chabab al-mu’min). L’objectif initial est la refonte d’une identité culturelle et spirituelle chez les jeunes zaydites. Puis, ils vont créer un mouvement politique : le parti du droit (Hezb al Haq). Les principaux leaders du mouvement Badredinne Al Houthi et son fils Hussein sont contraints d’émigrer en Iran. Une fois sur place, ils multiplient les déplacement entre Téhéran et Beyrouth. Les contacts avec le Hezbollah libanais ont lieu dans la banlieue Sud de la capitale libanaise.
Au lendemain des attentas du 11 septembre 2001 et de l’implantation des bases d’Al-Qaïda au Yémen en 2002, après l’occupation de l’Afghanistan par les forces occidentales, le mouvement zaydite adopte une attitude plus régionale, plus vindicative à l’égard de l’Occident. Les inscriptions présentes sur le drapeau officiel des houthis témoignent assurément de ce changement : «Dieu est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction aux juifs, victoire de l’Islam». Ce tournant coïncide également avec la politique d’éviction des chefs zaydites par le président yéménite de l’époque Ali Abdallah Saleh.
Les tensions s’accentuent et plusieurs accrochages éclatent entre la rébellion zaydite et le pouvoir central en 2004. La même année, le leader du mouvement Hussein Badredinne Al-Houthi meurt. Le mouvement zaydite prend définitivement le nom de «Houthi» après la mort de son chef et se livre à une véritable guérilla contre le gouvernement de Sanaa.
Jusqu’en 2010, les troupes gouvernementales et Ansar Allah s’engagent dans une guerre civile. L’intensité des combats varie au gré des périodes de pourparlers. Les partisans du président Saleh n’hésitent pas à s’allier avec les mouvances djihadistes du Sud pour annihiler la rébellion zaydite. C’est à partir de cette époque, que les Gardiens de la révolution iranienne ainsi que les services de renseignements iraniens (Vevak) fournissent matériels et entraînements aux Houthis dans des bases secrètes en Erythrée.
Le conflit civil se régionalise encore un peu plus avec l’intervention de l’Arabie saoudite pour épauler le président yéménite. Le 25 novembre 2010, le leader spirituel du mouvement, Badredinne Al-Houthi, est assassiné par Al-Qaïda. Le groupe djihadiste sunnite perçoit les Houthis chiites comme un groupe d’hérétiques à combattre.
Une guerre civile qui se régionalise avec le soutien occidental
La contagion du «Printemps arabe» arrive au Yémen et la majeure partie de la population se soulève pacifiquement pour contester le manque de légitimité du gouvernement de Sanaa. Or, le projet de dialogue national pour une transition politique s’effectue sous l’égide de l’Arabie saoudite, donc profondément opposé aux rebelles houthis. Dès lors, Ansar Allah ne reconnaît pas l’autorité du nouveau président Abdrabbo Mansour Hadi. De son côté, l’ancien chef de l’Etat Ali Abdallah Saleh se rallie à ses anciens ennemis pour récupérer le pouvoir. Les partisans de ce dernier fournissent en effet aux Houthis de nombreux équipements militaires. Ceci permet, dès 2014, au mouvement zaydite de sanctuariser ses acquis territoriaux tout en progressant rapidement vers la capitale Sanaa. Le mouvement devient peu à peu une puissance militaire capable de se déployer et de contrôler plusieurs régions stratégiques.
Le 21 septembre 2014, les Houthis contrôlent plusieurs quartiers de la capitale. Le président Hadi est contraint de fuir à Aden puis de se réfugier en Arabie saoudite. Pour Riyad, il faut impérativement lutter contre toute forme d’influence iranienne au Moyen-Orient, particulièrement aux frontières du royaume. C’est à partir de cette époque qu’une coalition arabe regroupant neuf pays (Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte, Emirats Arabes Unis, Jordanie, Koweït, Maroc et Soudan) intervient militairement pour mettre fin à la rébellion houthis.
En raison de la durée des combats et de l’urgence de la situation humanitaire sur place, l’ancien président Saleh se rapproche de l’Arabie saoudite pour tenter de négocier. Véritable pied de nez aux Houthis, il est assassiné en décembre 2017 lors d’un attentat, commis selon beaucoup d’observateurs par la rébellion zaydite.
La coalition arabe, menée par Riyad, est alors engluée dans une guerre interminable. Les investissements massifs dans les armements occidentaux contrastent avec le manque de résultat sur le terrain. Cette coalition reçoit en effet l’aide matérielle et logistique des Etats-Unis, de l’Angleterre, de la France et également d’Israël.
La France a ainsi vendu du matériel de guerre à l’Arabie saoudite pour près d’1 milliard 400 millions d’euros et des armes françaises sont régulièrement trouvées au Yémen. Entre 2015 et 2020, les Etats-Unis ont accepté de vendre pour plus de 64,1 milliards de dollars d’armes à Riyad, soit en moyenne 10,7 milliards de dollars par an. Les ventes à d’autres belligérants, comme les Emirats arabes unis, ont également augmenté de façon exponentielle. Entre mars 2015 et juillet 2021, les Saoudiens ont par ailleurs mené plus de 23 251 raids aériens, sans parler des opérations terrestres.
De leur côté, les Houthis reçoivent régulièrement des cargos d’armes en provenance d’Iran. A plusieurs reprises, ils ont même réussi à toucher les infrastructures pétrolières saoudiennes d’Aramco en août 2019 et la ville émiratie d’Abou Dhabi en février 2022.
Face à l’embourbement du conflit, les belligérants sont contraints de négocier régulièrement des cessez-le-feu pour arriver à une solution politique au Yémen. Dernier en date, une trêve est entrée en vigueur depuis avril dernier et expire le 2 octobre. En plus de l’échec de la coalition arabe à saper l’influence des Houthis au Yémen, la guerre est une catastrophe humanitaire. Outre les 377 000 personnes décédées, le pays est ravagé par le stress hydrique, la famine et de nombreuses maladies. Un enfant yéménite de moins de cinq ans mourrait toutes les neuf minutes en raison du conflit et 80% de la population dépend grandement de l’aide internationale.
Aujourd’hui, force est de constater que les Houthis sont les vainqueurs de cette guerre d’usure. Ils contrôlent plus qu’un quart du territoire et à peu près les deux tiers du «Yémen utile» qui concentre les principaux pôles urbains et économiques du pays.
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