Chroniques

Biden souhaite-t-il la démission de Netanyahou ?

Malgré ses liens profonds et de longue date avec la politique américaine, le Premier ministre israélien semble être tombé en disgrâce à Washington. Une analyse de Murad Sadygzade.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Murad Sadygzade, président du Centre d’études du Moyen-Orient, professeur invité à l’École des hautes études en sciences économiques à Moscou.

Depuis l’attaque contre Israël perpétrée par des groupes militarisés affiliés au mouvement palestinien Hamas le 7 octobre, et sur fond du conflit qui s’en est suivi à Gaza, les médias ont accordé une attention particulière à la transformation des relations entre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l’administration du président américain Joe Biden.

Pour les experts qui analysent les relations entre Netanyahou et les autorités américaines selon une perspective historique, le «refroidissement» actuel n’est pas particulièrement une surprise. Il peut être utile de revenir sur la biographie et la carrière politique de Netanyahou, cette dernière étant étroitement liée aux États-Unis.

Ben Nitay, enfant américain

La carrière de Benjamin Netanyahou, figure de proue de la politique israélienne, a été marquée par la résilience, la controverse et la clairvoyance stratégique. Premier ministre pendant la plus longue période de l’histoire du pays, son parcours politique comprend plusieurs mandats, de 1996 à 1999, puis à partir de 2009, et son leadership s’est maintenu à travers diverses coalitions et climats politiques.

Manifestation à Jérusalem le 2 avril pour réclamer la démission de Benjamin Netanyahou.

Netanyahou sous le feu des critiques : des milliers de manifestants réclament sa démission

Netanyahou est né en 1949 à Tel-Aviv. Sa mère, Tzila Segal (1912-2000), est née à Jérusalem, et son père, Benzion Netanyahou (Mileikowsky, 1910-2012), originaire de Varsovie, était un historien spécialisé dans l’âge d’or juif en Espagne. Son grand-père paternel, Nathan Mileikowsky, était rabbin et écrivain sioniste. Les activités de son grand-père et de son père ont eu une influence déterminante sur la formation des idées nationalistes de Netanyahou.

Entre 1956 et 1958, puis de 1963 à 1967, sa famille vit aux États-Unis, à Cheltenham Township, en Pennsylvanie, dans la banlieue de Philadelphie, tandis que son père, Benzion Netanyahou, est professeur au Dropsie College. Après avoir terminé ses études secondaires en 1967, Netanyahou rentre en Israël pour s’enrôler dans les Forces de défense israéliennes (FDI), avec lesquelles il participe à plusieurs opérations militaires. Plusieurs fois blessé, il termine son service en 1972 et est démobilisé.

À la fin de cette même année, Netanyahou rentre aux États-Unis pour étudier l’architecture au Massachusetts Institute of Technology. Après un bref séjour en Israël pour participer à la guerre du Kippour, il retourne aux États-Unis et, sous le nom de Ben Nitay, obtient une licence en architecture en février 1975, puis une maîtrise ès sciences à la Sloan School of Management auprès du Massachusetts Institute of Technology en juin 1976.

Parallèlement, il poursuit un doctorat en sciences politiques jusqu’à ce que ses études ne soient interrompues, toujours en 1976, par la nouvelle tragique de la mort de son frère lors du raid d’Entebbe, une opération antiterroriste visant à libérer des otages pris sur un vol entre Tel-Aviv et Paris en Ouganda. L’entourage de Netanyahou note que les années de service dans les forces de défense israéliennes, puis la mort de son frère, ont encore durci sa position sur la question palestinienne.

Après avoir passé quelques mois en Israël, «Bibi» retourne aux États-Unis et commence à travailler comme consultant économique pour le Boston Consulting Group, où il rencontre et devient l’ami de Mitt Romney, un homme politique républicain qui deviendra plus tard gouverneur du Massachusetts, mais aussi se présentera contre Barack Obama lors de l’élection présidentielle de 2012 avant de devenir sénateur de l’Utah en 2019.

On peut donc constater qu’avant de se lancer dans la politique israélienne, Netanyahou s’était forgé une carrière et des relations importantes aux États-Unis, qui détermineront par la suite les orientations prioritaires de sa politique étrangère.

L’ascension d’un jeune politicien

En 1978, Netanyahou retourne en Israël. De 1978 à 1980, il dirige l’Institut antiterroriste Yonatan Netanyahou (qui porte le nom de son frère décédé), une organisation non gouvernementale axée sur l’étude du terrorisme. De 1980 à 1982, il est directeur du marketing de Rim Industries à Jérusalem. C’est à cette époque qu’il établit ses premières relations avec plusieurs hommes politiques israéliens, dont Moshe Arens. En 1982, Arens devient ambassadeur d’Israël aux États-Unis et emmène Netanyahou à Washington en tant qu’adjoint. De 1984 à 1988, Netanyahou est ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies.

En 1988, il rentre en Israël et est élu à la Knesset au sein du Likoud. Il gravit rapidement les échelons et occupe plusieurs postes ministériels, dont celui de vice-ministre des Affaires étrangères.

En 1996, Netanyahou devient le plus jeune politicien à occuper le poste de Premier ministre israélien, après avoir battu Shimon Peres lors d’élections très disputées. Son premier mandat est marqué par une position ferme sur les questions sécuritaires et une approche prudente envers le processus de paix avec les Palestiniens, malgré la signature des accords d’Hébron et de Wye River, qui ont facilité la mise en œuvre des accords d’Oslo.

Après avoir perdu les élections de 1999 face à Ehud Barak, il fait une brève pause dans sa carrière politique avant de revenir en force. Netanyahou est ainsi ministre des Affaires étrangères et ministre des Finances dans le gouvernement d’Ariel Sharon. Il préconise notamment des réformes économiques et une ligne dure face à l’Intifada palestinienne.

La résilience politique de Netanyahou est pleinement démontrée lorsqu’il reprend la direction du Likoud, puis accède au poste de Premier ministre en 2009. Il a ensuite exercé plusieurs mandats consécutifs jusqu’en juin 2021, menant Israël à travers de nombreux défis, notamment des menaces sécuritaires, l’isolement diplomatique et des problèmes internes.

Benjamin Netanyahou lors d'une réunion à son cabinet le 24 décembre 2023 (image d'illustration).

Netanyahou de plus en plus isolé sur la scène internationale pour son intervention à Rafah

Le mandat de Netanyahou a été caractérisé par une position très ferme sur les questions de sécurité, notamment en ce qui concerne l’Iran et son programme nucléaire, ainsi que par une politique ferme de lutte contre le terrorisme. Son gouvernement a étendu les colonies israéliennes en Cisjordanie, ce qui a suscité des critiques internationales et des tensions avec les Palestiniens. Sur le plan intérieur, Netanyahou a défendu une politique économique néolibérale qui a stimulé la croissance économique mais a également accru les inégalités sociales.

Il a fait l’objet de nombreuses accusations de corruption, ce qui a donné lieu à des manifestations de grande ampleur et à des appels à la démission. Malgré ces difficultés, Netanyahou s’est avéré être un survivant politique, il a profité de ses compétences diplomatiques, de son expérience des médias et de sa profonde compréhension de la société israélienne pour se maintenir au pouvoir.

Il est revenu à la tête du gouvernement en décembre 2022. Mais cette fois, il a décidé de consolider son pouvoir et a lancé une réforme du droit au début de l’année 2023. Cette initiative a suscité une vive controverse et des protestations au sein de la société israélienne car elle impliquait toute une série de changements dans le système judiciaire israélien soutenus par ses partisans comme indispensables pour renforcer les principes démocratiques et l’équilibre des pouvoirs, tandis que ses détracteurs y voyaient une menace pour la démocratie et l’indépendance du système judiciaire.

Coopération et frictions avec Washington

Les relations de Netanyahou avec les États-Unis ont constitué un aspect central de sa carrière politique, et elles le restent, reflétant une interaction complexe entre la diplomatie, les relations personnelles avec des dirigeants américains et, parfois, des désaccords politiques. Ces relations ont survécu à plusieurs administrations américaines, de Bill Clinton à Joe Biden, et ont été caractérisées à la fois par une coopération étroite et des frictions notables.

Le premier mandat de Netanyahou en tant que Premier ministre (1996-1999) a coïncidé avec la présidence de Bill Clinton. Les relations des deux dirigeants ont été difficiles, principalement en raison de désaccords sur le processus de paix avec les Palestiniens ainsi que sur la politique de colonisation que menait Israël. Les États-Unis ont cherché à faire progresser les accords d’Oslo et se sont souvent retrouvés en désaccord avec l’approche de Netanyahou, axée plutôt sur la sécurité.

Les relations entre Netanyahou et les États-Unis se sont améliorées sous la présidence de George W. Bush, en particulier lorsque Netanyahou était ministre des Finances. La position ferme de l’administration Bush sur la lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre s’inscrivait dans la ligne de la politique de sécurité de Netanyahou. En outre, le soutien du président américain au droit d’Israël à l’autodéfense faisait écho à la philosophie gouvernementale et personnelle de Netanyahou.

La présidence de Barack Obama a été marquée par des tensions importantes. Premièrement, Bibi était mécontent du soutien de Washington aux mouvements de protestation et aux coups d’État au Moyen-Orient pendant le Printemps arabe. Le Premier ministre israélien était convaincu que les révolutions conduiraient à ce que le pouvoir dans les pays arabes vienne dans les mains des partisans de mouvements islamistes radicaux, ce qui entraînerait des problèmes et des conflits avec son pays. Toutefois, la Maison Blanche a négligé ses préoccupations et les positions des deux pays sur cette question étaient diamétralement opposées.

Un autre point de discorde majeur était l’accord nucléaire iranien, auquel Netanyahou s’est opposé avec véhémence, affirmant que le texte n’empêcherait pas Téhéran de mettre au point des armes nucléaires. Dans un geste sans précédent qui souligne la profondeur de ces désaccords, Netanyahou s’est adressé au Congrès américain en 2015 pour critiquer l’accord – une action considérée comme une mise en cause explicite de la politique étrangère d’Obama et comme une violation du protocole diplomatique.

La présidence de Donald Trump a été un point culminant dans les relations américano-israéliennes sous Netanyahou. Les décisions de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, d’y déplacer l’ambassade des États-Unis et de reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan ont constitué des changements politiques importants que Netanyahou a salués et célébrés.

Cette période a été caractérisée par une consolidation des relations personnelles entre Netanyahou et Trump, avec qui Bibi s’était lié d’amitié lorsqu’il était ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies à New York, ainsi que par un alignement sur de nombreuses questions politiques. Il s’agit notamment d’une position très ferme à l’égard de l’Iran et d’un scepticisme partagé à l’égard des approches multilatérales traditionnelles en matière de paix et de sécurité. C’est sous Trump que Netanyahou a pu normaliser ses relations avec plusieurs pays arabes grâce aux accords d’Abraham. À l’époque, les liens avec Washington semblaient solides et les relations avec les pays arabes paraissaient également s’améliorer.

En examinant l’histoire des relations de Netanyahou avec les autorités américaines, on peut facilement discerner un schéma. Bibi préfère et comprend les présidents républicains, tandis que ses valeurs et sa vision s’opposent clairement à celles des démocrates. La logique des relations n’a pas changé avec l’arrivée au Bureau ovale de Joe Biden, politicien démocrate expérimenté.

Des «amis» jurés : Netanyahou et les démocrates

Les relations avec l’administration démocrate au pouvoir ont pris un mauvais départ, le nouveau locataire de la Maison Blanche envisageant de revenir à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, condamnant la politique d’expansion illégale des colonies israéliennes sur les territoires palestiniens, relançant le financement de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens et l’organisation des travaux au Moyen-Orient (UNRWA), et soutenant ouvertement la solution à deux États. Bien que Netanyahou et Biden se soient étroitement côtoyés pendant plus de 40 ans, leurs opinions politiques sont très différentes.

Après une nouvelle escalade des relations entre les Israéliens et les Palestiniens en mai 2021 et une série de crises internes en Israël, Netanyahou est contraint de «faire une pause» et, le 13 juin 2021, le nouveau gouvernement de Naftali Bennett et Yaïr Lapid prête serment. Les nouvelles autorités tentent de renouer avec les démocrates, mais le début de l’opération militaire russe en Ukraine les en empêche. Washington exige que tout le monde se joigne aux sanctions contre la Russie pour isoler Moscou. Israël, comme tous les partenaires américains au Moyen-Orient, n’est pas d’accord.

Le Directeur de la CIA, Bill Burns, le 12 mars au Congrès américain (image d'illustration).

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Mais la «pause» de Netanyahou n’est pas longue et, en décembre 2022, il revient à l’Olympe politique israélien, formant le cabinet le plus à droite que le pays ait connu depuis des décennies. Les relations avec Washington empirent. Bibi et son gouvernement font l’objet d’accusations à cause de leur neutralité dans le conflit ukrainien et, en outre, à cause de la réforme du système juridique susmentionnée, que les États-Unis considèrent comme une «menace pour les valeurs démocratiques et les libertés en Israël». Le 20 mars 2023, Joe Biden a une conversation téléphonique avec Netanyahou, au cours de laquelle il évoque de nouveau l’importance de la démocratie dans les relations américano-israéliennes, proposant directement son appui dans la recherche d’un compromis sur la question de la réforme.

Mais la crise ne fait que s’aggraver. Après la suspension de la réforme judiciaire, Joe Biden déclare aux médias qu’Israël «ne peut plus suivre cette voie» et exprime l’espoir que le Premier ministre israélien abandonnera ses projets. Pour couronner le tout, le président américain indique n’avoir pas l’intention d’inviter Netanyahou à la Maison Blanche «dans un avenir proche», ce qui irrite ce dernier. Le lendemain, Netanyahou répond : «Israël est un pays souverain qui prend ses décisions en fonction de la volonté de son peuple, et non pas en fonction de pressions venant de l’étranger, y compris de ses meilleurs amis».

Les événements du 7 octobre n’améliorent pas les relations déjà tendues de Netanyahou avec Washington. L’administration de Biden soutient Israël en renforçant sa présence militaire dans la région. La Chambre des représentants des États-Unis adopte un projet de loi visant à allouer 14 milliards de dollars d’aide à Israël, et les volumes d’assistance en munitions et en armes pour Israël enregistrent également une augmentation notable. Cependant, les autorités américaines sont extrêmement mécontentes de l’opération terrestre de Tsahal à Gaza. Les multiples tentatives de pression sur Netanyahou et de conclusion d’un accord de cessez-le-feu échouent. Le Premier ministre israélien ignore toutes les «lignes rouges» de l’administration Biden.

Le voyage du concurrent de Netanyahou, Benny Gantz, aux États-Unis le 4 mars et ses négociations avec des responsables américains n’ont pas été coordonnés avec le Premier ministre. Nombreux sont ceux qui y ont vu une tentative des États-Unis d’écarter Netanyahou et de le remplacer par Gantz, ce qui n’a fait qu’exacerber les désaccords entre les deux pays.

Le 7 avril, le conflit actuel entre le Hamas et Israël aura six mois, mais aucune solution n’est encore en vue. Washington, ainsi que le Qatar et l’Égypte, tous deux acteurs régionaux, ont tenté de parvenir à un accord de cessez-le-feu avant le début du mois du ramadan, mois sacré pour les musulmans, mais en vain.

Le 7 mars, lors d’une conversation avec le sénateur démocrate Michael Bennett, Joe Biden déclare : «J’ai dit à Bibi : nous allons avoir une réunion “come to Jesus”». Dans une interview accordée à MSNBC le 9 mars, il explique que dans le sud de son État natal du Delaware, l’expression «venir à Jésus» est utilisée pour signifier «une réunion sérieuse». «Je connais Bibi depuis 50 ans et il a compris ce que je voulais dire», a déclaré le dirigeant américain, ajoutant que selon lui «[Netanyahou] fait plus de mal à Israël qu’il ne l’aide, en amenant le reste du monde à aller à l’encontre de ce qu’Israël représente. Et je pense que c’est une grave erreur».

Netanyahou rétorque : «Je ne sais pas exactement ce que le président voulait dire, mais s’il entendait par là que je mène une politique personnelle contre le souhait de la majorité des Israéliens, et que je vais contre les intérêts d’Israël, alors il a tort sur les deux points». «Nous irons jusqu’au bout. Nous ne reculerons pas. Vous savez, j’ai aussi une “ligne rouge”. Vous savez ce qu’est cette “ligne rouge” ? Faire en sorte que le 7 octobre ne se reproduise plus jamais. Cela ne se reproduira plus jamais», a ajouté Bibi, faisant référence à l’opération dans la ville palestinienne de Rafah, à laquelle Washington s’oppose.

En résumé, on peut noter qu’effectivement, les relations de Netanyahou avec l’administration Biden se détériorent sur fond de guerre à Gaza et de turbulences mondiales. La Maison Blanche ne veut pas comprendre que Netanyahou place les intérêts de son gouvernement au-dessus de tout, même s’ils sont en conflit avec les intérêts américains. Peut-être le comprend-elle, sans vouloir chercher un compromis.

Malgré le «refroidissement» actuel et certains désaccords, les intérêts stratégiques communs et les liens de longue date entre les pays demeurent la base d’un partenariat solide, capable de résister aux défis et aux changements sur la scène internationale. Pour Netanyahou lui-même, les États-Unis sont un partenaire important et nécessaire, qu’il connaît de l’intérieur. En outre, dans les couloirs du pouvoir israélien, nombreux sont ceux qui attendent la victoire de Donald Trump aux élections de novembre, estimant que son retour au pouvoir donnera un nouvel élan aux relations entre les deux pays.

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