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RT France et Sputnik, victimes ou coupables ?

Pour le consultant Franck Pallet, l'interdiction d'émettre imposée unilatéralement par Bruxelles aux chaînes RT France et Sputnik constitue une atteinte à la liberté de la presse qui ne repose sur aucune base juridique.

«Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse», écrivait ainsi Voltaire.

Depuis le 2 mars 2022, les chaînes RT France et Sputnik ont cessé d’émettre à la suite d’une décision prise unilatéralement par la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, au motif qu’elles seraient un instrument de propagande au service du Kremlin. Cette sanction sans précédent dans sa brutalité a été connu une application immédiate dans tous les Etats membres de l’Union Européenne.

Or, par delà les opinions que l’on peut avoir à l’égard de ces deux médias, sans cautionner la violation de la souveraineté de l’Ukraine par la Russie, on ne saurait confondre le travail d’une rédaction et la politique d’un pays.

Onfray, Bercoff, Asselineau, Collon : des voix s'élèvent pour défendre RT France


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Le fait que ces deux chaînes soient financées par le pouvoir russe, et, partant placées sous l’influence de leurs « bailleurs de fonds », ne saurait à lui seul justifier une telle censure, d’autant que du point de vue du droit international, ni l’OTAN, ni l’Union Européenne ne sont en guerre directe contre la Russie, dès lors que l’Ukraine n’est pas membre de ces deux organisations internationales. La clause de solidarité prévue à l’article 5 de la Charte de l’OTAN n’a donc pas vocation à s’appliquer.

Certes, certains pourront rétorquer qu’en fournissant des armes à l’Ukraine nous sommes indirectement en guerre et que tout média diffusant une information mensongère portant atteinte à l’intégrité nationale doit être sanctionné. Cependant, une telle mesure n’est pas sans soulever des difficultés juridiques.

Pour justifier cette interdiction d’émettre dans tous les pays de l’Union Européenne, la Commission s’appuie sur le Règlement n°269/2014 en date du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en février et mars 2014 ainsi que les articles 215 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 29 du Traité de l’Union européenne.

Or, en dépit du principe de primauté du droit européen sur le droit national, ces textes se heurtent à la hiérarchie des normes dont la Constitution de chacun des Etats membres de l’Union Européenne qui est placée au sommet de la pyramide juridique, dès lors qu’ils prévoient des sanctions portant atteinte à la liberté de la presse, partant à la liberté d’expression qui fait partie des principes à valeur constitutionnelle.

Un pays membre peut, sur cette base, se réserver le droit de ne pas appliquer une norme européenne lorsque celle-ci porte atteinte à son identité constitutionnelle c’est-à-dire un ensemble de valeurs dont le respect s’impose à toutes les normes, y compris constitutionnelles ou européennes. C’est précisément ce qu’avait fait la Cour constitutionnelle de Karlsruhe dans sa décision Solange I du 29 mai 1974 en jugeant qu’aussi longtemps que l’ordre juridique communautaire ne garantissait pas une protection des droits fondamentaux équivalente à celle qui est assurée par la Constitution allemande, des recours contre une disposition du droit communautaire contraire à un droit ou une liberté fondamentale garantie par cette même Constitution resteraient recevables, ce qui aboutissait de facto à une remise en cause de l’Arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964 n°6/64 qui consacrait le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national.

Dans cette célèbre décision, la Cour Constitutionnelle fédérale a estimé que la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire était lacunaire, ce qui justifiait, selon elle, que les actes juridiques communautaires fussent contrôlés à l’aune des droits fondamentaux consacrés dans la Constitution allemande.

En France, la liberté de la presse repose à la fois sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. C’est un droit fondamental édicté à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose, en effet, que «la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi».

De même, il est utile de rappeler que la liberté de la presse est considérée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme une composante de la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme).

Enfin, la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit les libertés et responsabilités de la presse française. Elle impose un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Son article 1 dispose que «l’imprimerie et la librairie sont libres.»

S’il existe une Charte de déontologie qui s’impose à tout journaliste, pour autant la règle du pluralisme des opinions doit s’appliquer dans toute société démocratique sous la condition toutefois de ne pas diffuser de propos haineux, racistes, antisémites, homophobes et contraires aux intérêts de la Nation.

Par delà ces principes brièvement rappelés, que dit notre droit en matière de sanction applicable à l’encontre d’un média qui n’aurait pas respecté la convention signée avec l’instance de régulation lui ayant octroyé l’autorisation d’émettre ?

Aux termes de l’article 42-1 de la Loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, seule l’Arcom (anciennement CSA) a le pouvoir d’interdire ou de mettre un terme à la diffusion d’un média. Le sixième alinéa l’article 42 de la même loi évoque plus spécifiquement le cas des médias contrôlés «par un Etat étranger ou placés sous l’influence de cet Etat» et la possibilité de résilier la convention «si le service ayant fait l’objet de ladite convention porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier des ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations.»

En tout état de cause, avant de prendre une sanction à l’encontre du média contrevenant, une mise en demeure d’avoir à cesser tout manquement à la convention doit lui être préalablement adressée. Si des mesures de restriction étaient envisagées, notamment dans l’hypothèse où les infractions se poursuivraient en dépit des injonctions faites par l’instance de régulation, ce serait au Conseil d’Etat, en cas de contestation de la sanction, d’arbitrer et de rendre sa décision, ce qui suppose qu’ait lieu un débat contradictoire préalable, conformément au droit au procès équitable prévu à l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

En effet, toute personne physique ou morale a droit à ce que sa cause soit entendue devant un tribunal indépendant et impartial dans un délai raisonnable.

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