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Démocratie autochtone : pourquoi l’Afrique devrait rejeter la voie occidentale

Les modèles de gouvernance traditionnels africains peuvent et doivent être incorporés à la vie sociopolitique moderne, selon Moussa Ibrahim, ancien ministre libyen de l’Information et de la Culture.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Moussa Ibrahim, secrétaire exécutif du Forum de l’Héritage Africain à Johannesburg et ancien ministre libyen de l’Information et de la Culture

Dans le discours ambiant sur la gouvernance mondiale, la démocratie occidentale apparaît souvent comme la quintessence de l’organisation et de la représentation politiques. Pourtant, les modèles démocratiques occidentaux sont critiqués sur tout le continent africain.

De nombreux Africains, forts de la richesse de leurs traditions, de leur histoire et de leurs structures sociales, croient en la nécessité d’une réévaluation des paradigmes démocratiques occidentaux et plaident pour des formes de gouvernance qui puiseraient leurs sources dans les réalités africaines. Cette vision critique découle d’une conviction profondément ancrée selon laquelle l’Afrique devrait développer ses propres formes de démocratie, inspirées des pratiques autochtones, des religions, des traditions et des valeurs communes.

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Au cœur de la critique africaine de la démocratie occidentale se trouve la constatation de la dissonance entre les systèmes politiques importés et les divers paysages sociopolitiques des nations africaines. La démocratie occidentale, souvent caractérisée par l’ultra-individualisme, par des structures de pouvoir élitistes, par une insistance sur les valeurs « progressistes », risque de ne pas correspondre pleinement à la philosophie communautaire qui prévaut dans de nombreuses sociétés africaines. En revanche, les systèmes de gouvernance traditionnels en Afrique, tels que ceux que l’on trouve dans divers royaumes, principautés et structures tribales, privilégient la recherche du consensus, la prise de décision communautaire et l’intégration des croyances spirituelles dans la gouvernance.

Désirs de faire renaître des pratiques de gouvernance autochtones 

L’une des principales raisons pour lesquelles de nombreux Africains s’accrochent aux modes de gouvernance traditionnels est le contexte historique du colonialisme et de ses effets durables. Les systèmes politiques occidentaux imposés pendant l’ère coloniale ont bouleversé les structures de gouvernance instaurées auparavant et ont souvent marginalisé les institutions autochtones. Cet héritage historique a laissé une profonde empreinte sur les sociétés africaines, encourageant le scepticisme envers les modèles occidentaux et le désir ardent de retrouver et de faire renaître les pratiques de gouvernance autochtones.

De plus, les systèmes traditionnels africains sont souvent vus comme plus inclusifs et participatifs englobant un large spectre de voix au sein de la communauté. Le processus de prise de décision dans les structures traditionnelles implique généralement la consultation des anciens, des chefs des communautés et des autorités religieuses, ce qui garantit la prise en considération de différents points de vue et l’atteinte d’un consensus.

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Ceci contraste avec la nature hiérarchique de nombreux systèmes démocratiques occidentaux qui peuvent marginaliser davantage des groupes défavorisés et engendrer des déséquilibres de pouvoir. Les religions et les croyances spirituelles africaines jouent également un rôle significatif dans la mise en forme du concept de gouvernance et de prise de décisions sur le continent. L’interconnexion, la vénération de la nature et la responsabilité collective sont souvent au centre des systèmes de croyances autochtones.

De nombreux Africains affirment que l’intégration de ces valeurs dans les structures de gouvernance peut déboucher sur des approches de développement plus durables et plus complètes, à l’opposé de la vision souvent utilitaire et anthropocentrique des cadres politiques occidentaux.

Le libéralisme occidental génère des inégalités

Les leaders africains de libération nationale, de Patrice Lumumba à Gamal Abdel Nasser et Mouammar Kadhafi, ont toujours attaqué les inégalités économiques et les politiques libérales et néo-libérales en Occident, qui donnent la priorité à la croissance et à la privatisation axées sur le marché. Dans de nombreux pays africains, ces politiques ont exacerbé les difficultés économiques, creusé l’écart entre les riches et les pauvres et prolongé la dépendance à l’égard de l’aide et des investissements étrangers. Cette disparité économique sape l’idéal démocratique d’égalité des chances et de justice sociale.

Il y a aussi la question de l’incompatibilité des valeurs occidentales avec la diversité culturelle africaine. Les normes et les pratiques démocratiques occidentales ne sont pas toujours en accord avec la diversité culturelle présente dans les sociétés africaines. Par exemple, des thèmes comme les droits des LGBTQ+, les clivages liés au genre et les politiques laïques relatives à la construction de l’État peuvent entrer en conflit avec les croyances et les normes traditionnelles et nationales de certaines communautés. Cette incompatibilité culturelle peut entraîner des tensions entre les principes démocratiques progressistes et les coutumes locales, ce qui risque de nuire à la cohésion sociale et à la stabilité.

L’Occident n’a pas le monopole de la démocratie

En outre, l’histoire de l’Afrique abonde en exemples de systèmes de gouvernance sophistiqués antérieurs à la colonisation. Des royaumes tels que l’empire du Mali (de 1226 à 1670), l’empire ashanti (de 1701 à 1901) et la civilisation du grand Zimbabwe (du XIe au XVe siècle) ont prospéré grâce à des systèmes de gouvernance qui combinaient l’autorité politique et des institutions culturelles et économiques.

Ils constituent des exemples remarquables de sociétés africaines ayant essayé diverses formes de gouvernance démocratique, ce qui remet en cause les récits conventionnels sur l’autocratie ayant régné dans l’Afrique précoloniale. L’empire du Mali, réputé pour sa richesse et son pouvoir sous des dirigeants comme Mansa Moussa, utilisait un système dans lequel le pouvoir était décentralisé entre des dirigeants locaux et leurs tribus, ce qui favorisait un sentiment de participation et de représentation parmi les citoyens.

De même, l’empire ashanti, avec sa structure politique complexe et l’accent mis sur la recherche de consensus par le biais de conseils des Anciens et d’assemblées populaires, illustre une forme de démocratie participative qui permettait l’expression de différents points de vue au sein de la société.

Redistribution démocratique de terres arables

Par ailleurs, la civilisation du grand Zimbabwe, connue pour ses impressionnantes structures en pierre et ses réseaux commerciaux sophistiqués, semble avoir fonctionné selon un système où la prise de décision était répartie entre différents niveaux de la société, ce qui suggère une forme de gouvernance décentralisée et l’inclusion de commerçants, d’artisans, de propriétaires terriens, ainsi que de soldats.

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Ces exemples remettent en cause la fausse idée selon laquelle la démocratie serait un concept étranger aux civilisations africaines, soulignant, au contraire, la riche histoire d’expérimentation et d’innovation démocratiques sur le continent.

Depuis les années 1950, des expériences authentiques en matière de démocratie populaire africaine menées en Égypte, en Tanzanie et en Libye ont produit des résultats intéressants méritant d’être étudiés en profondeur pour progresser. En Égypte, dans les années 1950 et 1960, la création à grande échelle de syndicats de travailleurs et d’associations d’agriculteurs, ainsi que la redistribution démocratique des terres arables, ont permis à des groupes auparavant marginalisés de participer de manière significative à la prise de décision politique.

De même, en Tanzanie, Julius Nyerere, dans le cadre de sa philosophie Ujamaa (fraternité/famille en swahili), a fusionné des idéaux issus de la religion, de la tradition et de la communauté africaines pour lancer un mouvement d’engagement démocratique dans les différentes couches de la société tanzanienne récemment libérée et unifiée.

Pendant ce temps, en Libye, Kadhafi s’est appuyé sur un mélange de tradition islamique, en particulier la choura (consultation populaire), les conseils tribaux et une démocratie directe non représentative pour construire sa vision d’une nouvelle alternative démocratique pour le Sud global.

S’inspirant de ces précédents historiques et contemporains, les partisans des démocraties africaines indigènes plaident pour l’adaptation et pour la modernisation des principes de gouvernance indigènes pour répondre aux défis contemporains.

Ces dernières années, l’Afrique a connu un mouvement croissant de revendication et de réinterprétation des pratiques traditionnelles de gouvernance. Des initiatives telles que l’Agenda 2063 de l’Union africaine soulignent la nécessité de trouver des solutions locales aux problèmes de développement auxquels fait face le continent, notamment la réforme de la gouvernance.

Plus précisément, l’Agenda 2063 traduit la vision d’un continent où prévaut un engagement commun en faveur de la bonne gouvernance, des principes démocratiques, de l’égalité des sexes et des droits de l’homme. L’Union africaine collabore étroitement avec ses États membres pour élaborer et mettre en œuvre des politiques de promotion des institutions solides et bien gouvernées. Ces efforts impliquent l’adoption d’une législation visant à garantir la participation active des citoyens africains à l’élaboration des politiques et aux efforts de développement, tout en accordant la priorité à la création d’un environnement de vie sûr et sécurisé.

Pour favoriser la réalisation de ces objectifs, l’UA a mis en place divers organes chargés de défendre la bonne gouvernance et les droits de l’homme sur l’ensemble du continent. Il s’agit notamment de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Commission de l’Union africaine sur le droit international, du Conseil consultatif de l’Union africaine contre la corruption et du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant.

Des pays comme le Ghana et l’Afrique du Sud ont intégré des éléments de gouvernance autochtone dans leurs cadres juridiques et politiques, reconnaissant l’importance du patrimoine culturel dans la formation de l’identité nationale et des structures de gouvernance. Des mécanismes démocratiques traditionnels et solides, tels que les conseils des Anciens, les assemblées communautaires, la rotation des dirigeants, le droit coutumier et la résolution des conflits, connaissent un regain d’intérêt dans le discours intellectuel et politique africain.

La chefferie au Ghana, indispensable au niveau local

Au Ghana, l’institution de la chefferie est un exemple important d’intégration d’éléments de gouvernance indigène dans le cadre juridique et politique. Des leaders traditionnels, appelés « chefs », détiennent une autorité et une influence considérables au sein de leurs communautés respectives. Leur rôle comprend souvent la médiation dans les conflits, la préservation du patrimoine culturel et la consultation sur les questions de gouvernance locale. Le système de la chefferie est reconnu et respecté par le gouvernement ghanéen, les chefs jouant un rôle actif dans les processus de prise de décision au niveau local.

Un autre exemple notable d’intégration d’éléments de gouvernance indigène, en Afrique du Sud, est la reconnaissance du droit coutumier dans le système juridique. Le droit coutumier englobe les pratiques, les normes et les coutumes traditionnelles de diverses communautés indigènes. La Constitution sud-africaine reconnaît l’importance du droit coutumier et prévoit sa reconnaissance et son application dans certaines matières, notamment en ce qui concerne le droit de la famille, l’héritage et le régime foncier. Cette reconnaissance garantit que le système juridique tiendra compte des diverses pratiques et valeurs culturelles des communautés indigènes d’Afrique du Sud.

Des discussions passionnantes sur ces sujets ont lieu dans des médias sociaux et dans les couloirs des parlements africains. J’ai eu le privilège personnel de participer activement et de diriger plusieurs de ces discussions entre 2009 et 2010. À cette époque, mon Jamahiri Media Centre (un projet médiatique du Sud global qui venait de naître à Tripoli, en Libye) a accueilli la Conférence de la jeunesse africaine, au cours de laquelle nous avons défendu et promu les démocraties africaines, en nous démarquant des modèles démocratiques néolibéraux importés d’Occident.

Les détracteurs des démocraties africaines indigènes évoquent souvent des inquiétudes concernant une éventuelle régression vers l’autoritarisme ou l’exclusion de voix minoritaires. Cependant, les partisans de cette approche répondent que l’adoption des traditions africaines n’implique pas un rejet des principes démocratiques, mais plutôt une ré-imagination de la démocratie vers plus d’inclusion et de participation, reflétant mieux les contextes locaux.

En fait, la vision critique de l’Afrique sur la démocratie occidentale reflète un désir profond de reprendre le contrôle de la gouvernance et des processus d’élaboration de ses politiques. En s’appuyant sur les traditions, les religions, l’histoire et les structures sociales indigènes, de nombreux Africains préconisent l’élaboration de modèles démocratiques en accord avec l’identité unique du continent et répondant aux défis complexes auxquels il est confronté. Alors que l’Afrique continue de s’affirmer sur la scène mondiale, le débat sur l’avenir de la démocratie sur le continent restera un élément central dans le façonnement de son paysage politique.

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