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L’Assemblée nationale examine une proposition de loi anti-squats controversée

Les députés se penchent sur un texte qui renforce les moyens destinés à lutter contre l'occupation illicite de logements. Si la droite entend muscler la proposition, la gauche la conteste frontalement, alors que la majorité est divisée sur le sujet.

L’Assemblée a entamé le 28 novembre l’examen d’une proposition de loi anti-squats suscitant la polémique. Elle pourrait être adoptée avec les voix des Républicains et du Rassemblement national, la majorité étant elle-même divisée sur le sujet. Craignant une hausse exponentielle des expulsions, la gauche et plusieurs associations s’opposent fermement au texte.

Un texte en défense des «petits propriétaires qui ne roulent pas sur l’or»

Déposée par le macroniste Guillaume Kasbarian, cette proposition de loi «visant à protéger les logements contre l’occupation illicite» doit plus précisément clarifier le régime juridique du squat d’une part et accélérer le contentieux locatif d’autre part. Porté par les groupes Renaissance et Horizons de la majorité, le texte propose de tripler les sanctions encourues par les squatteurs, pour aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, ainsi que d’accélérer les procédures d’expulsion.

Restaurant Le Petit Cambodge à Paris, novembre 2016 (image d'illustration).

Paris : bras de fer entre des squatteurs et le restaurant Le Petit Cambodge

A l’ouverture des débats, Guillaume Kasbarian a insisté sur les «petits propriétaires qui ne roulent pas sur l’or» et qui se retrouvent «victimes de squats», en référence à plusieurs affaires médiatisées d’occupation de logements. Parmi les nouveautés prévues par le texte figure la création d’un «délit d’occupation sans droit ni titre du logement d’autrui», distinct du délit de squat, qui permettrait au propriétaire d’un logement d’attaquer en justice un occupant qui persisterait à se maintenir en dépit d’une décision de justice.

Sa proposition de loi précise aussi que le délit d’introduction dans un domicile concerne également les résidences secondaires, et étend la procédure d’expulsion express − sans recours à un juge − aux logements vacants, vides de meubles. Le texte réduit également la durée de la procédure judiciaire et prévoit que certains délais pouvant être accordés par un juge ne soient désormais envisageables que si le locataire en fait lui-même la demande. Enfin, la proposition de loi veut conforter les bailleurs face aux impayés de loyer, prévoyant là encore de raccourcir les délais procéduraux.

La droite veut muscler le texte, la majorité hésite

En l’absence de majorité absolue, le camp présidentiel pourra trouver des appuis à droite. «Ça fait bien longtemps qu’on fait des propositions allant dans ce sens», a souligné la députée LR Annie Genevard. En commission des Affaires économiques, celle-ci a fait adopter l’assimilation du «squat à un vol», une disposition à ses yeux «essentielle» qu’elle espère étendre aux occupations de locaux à usage économique.

Sous les protestations de la majorité, l’élu du RN Jean-Philippe Tanguy a jugé que le texte de Guillaume Kasbarian «s’inspirait largement» d’une proposition de Marine Le Pen. En 2018, celle-ci avait en effet déposé une proposition de loi «pour une véritable loi anti-squat» visant à durcir les peines applicables au délit de squat, proposant déjà de les porter à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

Tout ce qui permet de défendre les petits propriétaires, nous le voterons

Le député s’en est d’ailleurs pris à la Nupes, l’accusant de dispenser des «leçons de morale». Evoquant le passage au ministère du Logement de l’écologiste Cécile Duflot et la gestion de nombreuses collectivités territoriales par la gauche, Jean-Philippe Tanguy a jugé que celle-ci était «co-responsable» de l’échec de la politique du logement dans le pays. «Il n’y a que le RN qui défende les honnêtes gens sur les deux bords, ceux victimes du mal-logement à cause de vous et ceux victimes du laxisme judiciaire dont les logements sont occupés», a-t-il asséné. «Tout ce qui permet de défendre les petits propriétaires, nous le voterons», a-t-il annoncé.

Quant au gouvernement, s’il a apporté son soutien, il a prudemment demandé un «équilibre», toujours dans la logique du «en même temps». «L’assimilation entre un squatteur et un locataire mauvais payeur n’a pas lieu d’être», a ainsi insisté le ministre du Logement Olivier Klein, venu du Parti socialiste.

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a largement défendu le texte, tout en étant «un peu plus réservé» quant aux «difficultés constitutionnelles» de l’article 2 qui étend la notion de domicile à ceux vides de meubles. Il a en outre appelé à retirer l’ajout de LR associant «squat et vol» pour ne pas créer une «présomption de culpabilité, avec un risque constitutionnel extrêmement important».

Comme le rapporte BFM TV, le Mouvement démocrate (MoDem) éprouve un certain embarras, «pour ne pas dire son mécontentement», face au texte, jugé superflu par certains élus centristes par rapport au processus existant, dont il suffirait de veiller à la «bonne application». L’un d’entre eux, cité par la chaîne d’information, s’est d’ailleurs ému des méthodes «d’un petit commando autour d’Aurore Bergé» − la présidente du groupe Renaissance − qui aurait tendance «à se jeter sur tous les sujets que le RN pourrait porter». In fine, certains députés du groupe centriste devraient voter la proposition, et d’autres s’abstenir.

La gauche et les associations dénoncent un «grave recul» du droit au logement

Les députés insoumis, PS, communistes et écologistes sont vent debout contre le texte, même si certains élus ultramarins de gauche soutiennent des amendements pour des mesures fortes en Outre-mer.

Si votre loi était passée jadis, l’abbé Pierre serait en prison

L’Insoumis François Piquemal a défendu en vain une motion de rejet en s’indignant d’une «attaque sans précédent à l’encontre des droits et de la protection des locataires», par la «criminalisation de tous les mal-logés». «Si votre loi était passée jadis, l’abbé Pierre serait en prison», a-t-il lancé à la tribune du Palais Bourbon, estimant que la proposition de loi empruntait une «voie dangereuse», alors que le nombre d’affaires de squats se limite selon lui à 170 par an, soit nettement moins que les expulsions locatives.

Il a d’ailleurs cité l’ancienne ministre du logement Emmanuelle Wargon qui avait déclaré que «le squat n’est pas un phénomène massif en France». Lors d’un récent colloque consacré à la précarité énergétique, elle a également estimé qu’«il n’y a qu’environ 200 squats par an» et que la loi existante suffisait.

Dans une tribune publiée dans le JDD le 28 novembre aux côtés de quatre autres députés insoumis, le même François Piquemal a réaffirmé que les squats sont un «épiphénomène surmédiatisé qui ne concerne que 0,005% des logements recensés dans le pays» et incriminé un manque de prise en compte de la diversité des situations. Un occupant sans droit ni titre peut être un «locataire condamné pour expulsion locative après des impayés […], un locataire demeuré au terme de son bail faute d’avoir trouvé une autre solution de logement en raison des prix du marché […] ou encore les victimes de marchands de sommeil ou d’arnaqueurs s’étant fait passer pour les propriétaires», développent les signataires.

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La réduction des délais et des voies de recours pour les locataires inquiète les auteurs de la tribune, qui estiment qu’elle empêchera «un locataire de bonne volonté de pouvoir apurer sa dette sur un temps de deux à trois ans comme cela est régulièrement le cas». Selon eux, la proposition de loi «va donc créer de fait plus rapidement des occupants sans droit ni titre et donc des “squatteurs” supplémentaires». Au final, «l’envers du décor du discours officiel de défense des petits propriétaires bailleurs victimes de squatteurs est en fait une régression généralisée du droit», fustigent-ils.

Dans l’hémicycle, le socialiste Gérard Leseul a lui aussi dénoncé un «grave recul du droit au logement». «Vous assimilez un locataire en difficulté à un squatteur, ce n’est ni moralement ni politiquement acceptable», a-t-il dénoncé.

Fermement opposée au texte, l’association Droit au logement (DAL) a quant à elle déployé des banderoles «se loger n’est pas un crime» près de l’Assemblée et a installé un campement «jusqu’à la fin des discussions». «On se trompe de cible. La France compte quatre millions de mal-logés, c’est la crise du logement qu’il faut venir combattre, pas ses victimes», a dénoncé auprès de l’AFP Francis Vernède, directeur de la Fondation Abbé Pierre en Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’association altermondialiste Attac a pour sa part condamné une loi qui «criminalise les précaires».

En revanche, la FNAIM, qui représente les professionnels de l’immobilier, a salué une «amorce de rééquilibrage des droits» entre propriétaires et locataires. Les députés débuteront ce 29 novembre l’examen des 246 amendements déposés sur le texte, à l’issue de la séance des questions au gouvernement.

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