Washington va livrer des munitions à l’uranium appauvri à l'Ukraine. L'ambassadeur russe à Washington y voit un «signe d’inhumanité», Karine Bechet-Golovko aussi. Analyse.
Reuters l’annonçait la semaine dernière, le Pentagone vient de le confirmer : l’administration Biden va, à la suite de la Grande-Bretagne, envoyer à l’Ukraine des munitions à l’uranium appauvri de 120 mm, destinées aux chars américains Abrams tant promis, dans le prochain paquet d’aide militaire de 175 millions de dollars, ce qui constituera un pas de plus dans l’escalade du conflit.
Il est vrai que les Anglo-Saxons ont une grande expérience en matière de recours à l’uranium appauvri… sur des terrains de guerre loin de chez eux et de leur population. Pour la première fois, il fut utilisé par les armées américaine et britannique lors des bombardements en Irak, dans ce qu’on a appelé la guerre du Golfe, où ils en déversèrent plus de 350 tonnes. Puis, vint le tour des Balkans. Evidemment, aucun travail de nettoyage des sols, ensuite, n’a été réalisé par ces pays.
Les Etats-Unis se moquent des conséquences loin de chez eux
Pour justifier une telle décision, particulièrement choquante après les fatales expériences des dernières décennies, le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, déclare sans même sourciller, que l’uranium appauvri n’étant pas radioactif, il ne présente pas de danger, notamment cancérigène : «Maintenant, permettez-moi d’aborder ce point parce que vous avez également utilisé le mot “controversé”. Les munitions à l’uranium appauvri – et des études scientifiques, notamment celles du CDC, le confirment – ne constituent aucune menace radioactive. Elles sont tout simplement plus denses que les obus de chars plus conventionnels. Mais les munitions d’uranium appauvri ne représentent aucune menace cancérigène ou radioactive.» S’agit-il d’hypocrisie, de cynisme ou d’un mensonge d’État comme nous en avons déjà connu ? Ces versions, bien sûr, ne s’excluent pas les unes les autres.
Comme l’a parfaitement résumé l’ambassadeur russe aux États-Unis, c’est au minimum un «signe d’inhumanité». Et l’on pourrait souligner également la dégradation morale de la politique américaine, si jamais elle le fut un jour.
La question de la nocivité de l’uranium appauvri est en effet une question particulièrement toxique pour les organisations internationales, dominées par les États-Unis, qui n’ont de cesse d’en normaliser l’utilisation. Ainsi, le Bureau des affaires de désarmement de l’ONU estime que l’uranium appauvri présente «la même toxicité chimique que l’uranium naturel, [même si] sa radiotoxicité est moindre». Ils va même jusqu’à affirmer que rien ne prouve que son utilisation puisse être à l’origine de maladies spécifiques, et que le risque radiologique serait faible… si les sols sont nettoyés après les bombardements et si les civils et militaires n’ingèrent pas les particules d’oxyde d’uranium, libérées suite à l’explosion et qui peuvent rester plusieurs jours en suspension.
L’uranium se volatilise au moment de l’impact
Or, les risques cancérigènes explosent dès lors qu’il y a, d’une manière ou d’une autre, ingestion : «A l’intérieur du corps, par contre, le rayonnement alpha devient l’agent cancérogène le plus puissant qu’on connaisse. Il est 20 fois plus dommageable que les rayons X ou les rayons gamma et cause le cancer du poumon, le cancer des os et une série de maladies sanguines, dont la leucémie. Un grand nombre de mineurs et de travailleurs ayant manipulé le radium sont morts à la suite d’une exposition interne à des quantités minimes de substances radioactives à rayonnement alpha.»
Or, sur les champs de bataille, une partie de l’uranium se volatilise au moment de l’impact et produit une fumée radioactive qui peut rester plusieurs jours en suspension et être ainsi facilement inhalée. Les médecins irakiens se sont trouvés confrontés à un taux anormal d’enfants mort-nés ou malformés, ainsi qu’à une forte augmentation des cancers. Parallèlement, l’alerte a été donnée, en vain, par les vétérans de ces guerres, dont la santé a été mise en danger suite aux inhalations d’uranium appauvri lors des combats. C’est ce qui a été appelé le syndrome du Golfe. Pour des raisons politiques évidentes, le lien entre l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri et ces impacts sur la santé et l’environnement n’a pas été formellement reconnu par la communauté internationale.
Ainsi, lorsqu’un député français a interpellé fin mars de cette année le gouvernement français sur cette question, il a reçu en mai une réponse parfaitement formelle du ministre des Affaires étrangères : «M. Pierre Laurent attire l’attention de Mme la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères sur le péril qu’il y a à utiliser des munitions à uranium appauvri dans les conflits, y compris dans le contexte de l’actuelle guerre en Ukraine», rappelant l’appel du Parlement européen en 2008 pour interdire l’utilisation, la production et la vente de munitions à l’uranium appauvri, qui est resté lettre morte. Et la France suit la ligne globaliste américaine : «Aucune de ces enquêtes n’a établi de lien de causalité scientifiquement démontré entre l’usage de ce type de munitions et certaines pathologies rencontrées par les personnels militaires exposés à leur contact ou les populations civiles habitant les zones concernées par cet usage. […] La France a donc pris acte des conclusions auxquelles sont parvenus les experts mobilisés sur cette question. À leur lumière, on ne saurait affirmer que l’emploi d’armes, munitions et équipements militaires contenant de l’uranium appauvri soit contraire au droit international.»
Que les pays de l’OTAN aient intérêt à fermer les yeux sur les conséquences écologiques et sanitaires parfaitement connues de l’utilisation des munitions à l’uranium appauvri, c’est politiquement évident. Ils veulent éviter de devoir prendre en charge les vétérans de ces guerres très particulières en marge de la légalité, sans oublier celle du nettoyage des sols et l’implication d’une responsabilité entraînant le versement de compensations aux populations locales, victimes de leurs bombardements. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays de l’OTAN à leur suite ne peuvent et ne doivent être tenus responsables en rien des conséquences des guerres du Golfe et des Balkans, pour deux raisons. Tout d’abord, comme chacun le sait, par ce que ce sont les vainqueurs (idéologiques sinon militaires), et l’on ne juge pas les vainqueurs. Ensuite, parce qu’ils ont ainsi apporté la démocratie, et la démocratie a un coût, que les populations locales doivent verser avec sourire et contentement à leur nouveau suzerain.
Comment l’Ukraine peut-elle accepter cela ?
Ce qui est beaucoup plus surprenant, c’est que les Ukrainiens acceptent cette «aide» militaire venue des Anglo-Saxons. A l’époque, les militaires occidentaux ne connaissaient pas les conséquences pour leur santé, lorsqu’ils bombardaient allègrement le pays à anéantir à l’uranium appauvri. Aujourd’hui, n’importe quel militaire le sait, quelle que soit la position des organismes internationaux. On a vu l’explosion des cancers chez les vétérans de ces guerres, il n’y a aucune raison pour que les Ukrainiens soient épargnés. Comment les autorités de ce pays peuvent-elles sciemment mettre en danger la santé de leurs hommes, sans par ailleurs pouvoir en tirer un véritable avantage militaire sur le terrain ? Pensent-elles réellement que, parce que ces obus doivent mieux percer le blindage des chars russes, cela va leur permettre de percer la défense russe ? Ce n’est pas sérieux.
Une autre question se pose aux autorités ukrainiennes : comment peuvent-elles accepter d’utiliser sur leur terre, contre leur population, des armes aussi toxiques à long terme ? Il n’y a ici qu’une seule alternative : soit elles sont criminelles, soit elles sont inféodées. Si les autorités ukrainiennes possèdent encore une moindre parcelle de pouvoir, elles décident donc librement d’utiliser l’uranium appauvri sur leur propre sol, en toute connaissance de cause. Ce qui est une première : normalement, ces armes sont utilisées par des armées étrangères (de l’OTAN), contre un pays qui doit être soumis et dont ces puissances se moquent éperdument des conséquences pour les populations locales. Comme on a pu le voir en Irak et en ex-Yougoslavie. Dans la deuxième hypothèse, il faut alors reconnaître que les autorités en Ukraine ne sont pas «ukrainiennes» : il n’y a sur place qu’une administration locale, chargée d’administrer un territoire et des hommes en fonction de décisions qui sont prises par le centre de pouvoir – c’est-à-dire ailleurs. L’Ukraine est alors une colonie, elle ne peut s’opposer à la mise en œuvre de décisions, même lorsque celles-ci lui sont néfastes, quand les véritables détenteurs du pouvoir l’on décidé.
Dans tous les cas, ce conflit en Ukraine continue à s’enfoncer dans une guerre de plus en plus sale. Peut-être cela est-il nécessaire pour faire réagir les Ukrainiens, pour leur ouvrir les yeux, pour leur faire comprendre qui les occupe réellement et d’où vient le véritable danger ?
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